Devant quelques centaines d’élus réunis pour évoquer le rôle des maires face aux cas de radicalisation, Patrick Kanner, ministre de la ville, s’est félicité d’une « petite révolution » en cours, mercredi 1er juin, au congrès des maires de France. Une révolution qui tient en un texte de dix pages : une convention signée le 19 mai avec l’Association des maires de France (AMF), qui consacre le rôle des élus, en partenariat avec l’Etat, en matière de prévention de la radicalisation.

« Les maires sont extrêmement isolés, confrontés à un sujet qui les dépasse », avait rappelé, peu avant, Nathalie Goulet, sénatrice de l’Orne, relayant les critiques régulièrement émises par les élus. Ces derniers s’estiment dépossédés de l’information en la matière, au profit des services de renseignement, de police et de justice. « Ils veulent savoir s’il y a des personnes radicalisées sur leur commune, à qui le signaler, et comment obtenir des informations à leur sujet », a rappelé Mme Goulet. Mais le secret des enquêtes et la confidentialité, entre autres, de l’identité des fichés « S », les privent, regrettent certains, d’emprise sur ce qu’il se passe sur le territoire qu’ils administrent. Tous appellent à davantage de partenariats entre acteurs concernés par cette question.

La nouvelle convention propose donc d’améliorer l’information des élus et fonctionnaires sur les processus de radicalisation. Objectif : les former à leur détection. Surtout, souligne François Pupponi, maire PS de Sarcelles, c’est un message fort qui est envoyé : « Pour la première fois, l’Etat accepte de dire que, sur ces sujets, les maires sont impliqués. Jusque-là, c’était réservé aux services de renseignement et de police. »

Détecter les processus de radicalisation

En pratique, de nombreux élus ont déjà, à leur échelle, tenté d’organiser ces actions. Certains étaient invités, mercredi, à partager leurs expériences lors du congrès des maires. Gilles Platret, maire de Chalon-sur-Saône (Saône-et-Loire), a ainsi raconté comment, depuis le début de l’année, il tente de faire de chacun des acteurs locaux des « capteurs » de ce qui se passe sur sa commune.

Qu’ils soient fonctionnaires, enseignants, associations ou bailleurs sociaux, ils sont formés à déceler « un changement d’apparence, une rupture ostentatoire avec son image passée, un ado en rupture de ban avec sa famille, des individus tentant de mettre la main sur des associations ou des clubs sportifs… », a énuméré l’élu des Républicains. Des « signaux faibles » qu’ils sont invités à « faire remonter » en mairie. En parallèle, M. Platret tient mensuellement la réunion d’une « cellule municipale d’échange sur la radicalisation », avec des représentants des forces de police, du renseignement territorial et de la préfecture, pour orchestrer ces actions de prévention.

Pour accompagner les élus dans ces démarches, le ministère de l’intérieur vient d’éditer un Guide de prévention de la radicalisation proposant, outre les outils de signalisation, des techniques d’accompagnement éducatif et social. Repérer les individus en phase de radicalisation « ne suffit pas », insiste en effet François Pupponi. Dans sa commune, il a lancé un appel à projet pour bâtir une structure d’accompagnement de ces jeunes, mais il s’inquiète aujourd’hui de son financement. Le fonds interministériel de prévention de la délinquance et de la radicalisation devrait être abondé de 40 millions d’euros supplémentaires pendant deux ans pour appuyer ces actions.

Lenteurs sur le terrain

Plus globalement, M. Pupponi se préoccupe de la disparité qui existe entre le message de l’Etat et sa mise en œuvre dans les territoires. « Ce que l’on constate, c’est que c’est très long sur le terrain. La volonté affichée au niveau national ne se concrétise pas partout au niveau local », s’agace-t-il.

Dans l’assemblée, Naïs Silvant, adjointe aux affaires sociales à Plouagat (Côtes-d’Armor), et ses collègues élues viennent ainsi de découvrir qu’elles étaient tenues d’afficher en mairie le numéro vert destiné au signalement des cas de radicalisation. Mme Silvant, pourtant travailleuse sociale pour le département, ignorait même jusqu’à l’existence de ce numéro. A Lannion, où elle travaille, elle est pourtant confrontée à des cas d’individus radicalisés. Elle évoque le cas récent d’une jeune fille ayant quitté les Côtes-d’Armor pour la Syrie.

« Selon les territoires, il y a du dialogue, ça s’organise, mais c’est très informel », regrette M. Pupponi. Selon lui, c’est à l’Etat de prendre les rênes et d’obliger ses services à s’impliquer dans ces démarches. Le message n’est, semble-t-il, pas étranger au ministère. Patrick Kanner a promis, mercredi, de demander aux préfets de faire preuve « d’ouverture d’esprit et d’ouverture de pratique » dans ces actions de coordination.