Sur le Vieux-Port à Marseille, le 11 juin. | Darko Bandic / AP

Les responsables de l’Euro ont dû pousser un – discret – « ouf ! » de soulagement, dimanche 12 juin, au soir du troisième jour de la compétition. Turquie-Croatie, Pologne-Irlande du Nord et Allemagne-Ukraine, trois matchs potentiellement « à risque », se sont conclus sans incident majeur.

Une étrange échauffourée avec les forces de l’ordre a bien eu lieu en début d’après-midi, non loin du Parc des Princes, à Paris, mais elle était mise en scène par des supporteurs locaux. Une autre, plus violente, a opposé des Allemands et des Ukrainiens sur la Grand-Place de Lille, faisant deux blessés légers. Mais elle a été de très courte durée, rapidement maîtrisée par les CRS.

Ce relatif répit dominical n’a pourtant pas éteint le feu allumé à Marseille par les violents affrontements qui ont entouré la rencontre entre l’Angleterre et la Russie. Deux jours après les faits, un supporteur anglais d’une cinquantaine d’années, frappé samedi 11 juin non loin du Vieux-Port, est toujours hospitalisé. Si son état est stabilisé, son pronostic vital reste réservé. « Les attaques de supporteurs russes très organisés ont provoqué les plus lourds dégâts sur les personnes, explique le préfet de police des Bouches-du-Rhône, Laurent Nunez, en charge d’un dispositif qui a mobilisé près de 1 200 policiers. Jeudi et vendredi, nous avions été confrontés à des incidents sans commune mesure, causé par des supporteurs anglais, peu organisés et en état d’ébriété. Samedi, c’était beaucoup plus lourd. »

Les images des nombreuses caméras de vidéosurveillance installées dans les rues de Marseille livrent déjà des informations plus claires sur le déroulé des faits. Ainsi, la présence à Marseille de près de 200 hooligans russes, supporteurs de clubs de ­Moscou – le Lokomotiv et le Spartak – et de Saint-Pétersbourg, est validée par la police. « Ils se sont donné rendez-vous pour descendre ensemble sur le Vieux-Port et attaquer les Anglais », explique-t-on. Des incidents entre supporteurs des deux pays et quelques jeunes Marseillais avaient commencé sur les terrasses du cours Estienne-d’Orves (1er) tout près des quais. Mais c’est bien l’arrivée, selon la police, de ce groupe ultraviolent et organisé, qui a entraîné la plupart des 35 blessés, dont quatre graves, relevés sur le bitume marseillais.

Lors des affrontements à Marseille, samedi 11 juin. | Ariel Schalit / AP

« J’ai vu arriver sur ma terrasse des golgoths qui cherchaient à frapper de l’Anglais », racontait, dimanche, Georges Zucca, le patron d’un bar à vin de la rue Sainte (1er). Profondément choqué, il a, comme beaucoup de confrères, fermé boutique juste après l’émeute. « C’était un raid, on avait affaire à un commando paramilitaire dans l’organisation : ils repèrent les lieux, désignent une cible, puis passent à l’attaque », témoigne Sébastien Louis, historien spécialisé dans l’étude des supporteurs radicaux, qui était présent à Marseille lors des affrontements.

Scindés ensuite en plusieurs groupes, ces supporteurs russes seraient également impliqués dans l’attaque de fans anglais devant le Stade-Vélodrome, une heure avant le coup d’envoi du match. Et dans la charge lancée en fin de rencontre dans le virage sud de l’enceinte marseillaise. Un assaut sauvage dont les images – des hommes aux visages masqués tapant au hasard – n’ont pas été diffusées par l’UEFA.

Interdiction de la vente d’alcool

La présence de ces groupes de hooligans souligne la première des failles du dispositif que police et justice pensaient avoir tissé autour de l’Euro 2016. L’échange des informations avec les pays participants n’a pas fonctionné comme prévu. A Marseille, la police britannique avait envoyé dix de ses spécialistes. La Russie, quatre. « Il n’y avait pas de hooligans anglais, assure le préfet Nunez. Ils ont tous été retenus dans leur pays, ce qui, sur 3 000 personnes, mérite d’être souligné. Côté Russes, tous ceux qui nous ont été signalés ont été interceptés, dont cinq à l’aéroport Marseille-Provence. »

« Samedi, les effectifs étaient suffisants pour maintenir la sécurité, confirme Isvar Sattiaradjou, responsable UNSA-Police de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur,mais c’est le travail de renseignement sur les fans étrangers qui n’a pas été fait. On a eu l’impression que les supporteurs étaient lâchés dans la nature. Du coup, nous n’avons fait que subir. Il y a eu des vagues de refoulement, l’utilisation de lacrymogènes et de ­canons à eau pour éviter que des groupes se rencontrent pour en découdre. » « Les Russes nous ont donné une liste de 30 à 40 supporteurs pour préparer l’Euro 2016, confirme, à Paris, une source policière. C’est vingt fois moins que le nombre de supporteurs signalés par les Suisses ! » Dimanche, ce sont 21 hooligans allemands – sur 2 500 signalés par leur pays – qui ont été interdits de pénétrer sur le territoire.

Les événements d’Angleterre-Russie, à l’intérieur comme à l’extérieur du stade, ont forcé, dimanche, les autorités à réagir. Au ministère de l’intérieur,Bernard ­Cazeneuve, qui a passé une partie de samedi en cellule interministérielle de crise, a demandé aux préfets d’interdire la vente et la consommation des boissons alcoolisées la veille et les jours de match, sur les territoires concernés par l’Euro. Les centaines de bouteilles achetées dans les commerces de proximité, lancées sur les forces de l’ordre pendant trois jours à Marseille, et l’insistance de certains élus, dont la sénatrice (PS) Samia Ghali, ont rendu la mesure, rejetée avant l’Euro, nécessaire.Insuffisant pour le chercheur Sébastien Louis : « Nous avons affaire à une nouvelle génération de hooligans depuis la fin des années 1990, venus des pays de l’Est, Russie et Pologne principalement : ce sont des gens qui font des sports de combat, qui s’entraînent quotidiennement. Ils ne prennent pas de drogue, pas d’alcool, ils ont un mode de vie ascétique pour se dédier à ces affrontements. L’image du hooligan bedonnant qui buvait plus que de raison est dépassée. »

Menace d’exclusions du tournoi

De son côté, l’UEFA a annoncé l’ouverture d’une procédure disciplinaire contre la Fédération russe. La charge des supporteurs en fin de match, la mise à feu de fumigènes et d’une bombe agricole, passés à travers la fouille des spectateurs, ont choqué dans une enceinte que l’on annonçait hypersécurisée, avec un stadier pour soixante-six personnes. Elles mettent directement en cause l’efficacité de l’instance dirigeante du foot européen, en charge de la sécurité à l’intérieur des enceintes. Tout comme, ­dimanche, l’irruption d’un fan croate sur la pelouse du Parc des Princes après l’ouverture du score par son pays contre la Turquie… L’homme voulait embrasser le buteur Luka Modric, mais il a créé un certain malaise. L’UEFA a reconnu « des problèmes de séparation » entre supporteurs au Vélodrome et promis un « dispositif renforcé » du personnel de sécurité dans les stades.

En attendant les éventuelles sanctions de l’enquête disciplinaire – qui porte également sur des chants racistes qu’auraient entonnés des supporteurs russes –, l’UEFA, poussée par les autorités françaises, a indiqué qu’elle « n’hésitera pas à imposer des sanctions additionnelles sur les fédérations anglaise et russe, dont une éventuelle ­disqualification du tournoi si de telles violences devaient se reproduire. » A Londres comme à Moscou, la menace inquiète. Si le gouvernement britannique s’est dit « profondément préoccupé par les violences survenues à Marseille », sa puissante fédération fait profil bas.

En Russie, pays désigné pour accueillir la prochaine Coupe du monde en 2018, le ministre des sports, Vitali Moutko, a, lui, blâmé l’organisation de l’Euro 2016 : « Pour que de telles rencontres soient organisées correctement, vous devez séparer les ­supporteurs. Il y avait des pétards, c’est évidemment mauvais. Il n’y avait pas de grillage, rien. »

Arrestation vendredi 10 juin à Marseille. | Darko Bandic / AP

Lundi 13 juin, la chambre de comparution immédiate du tribunal correctionnel de Marseille devait examiner les premiers dossiers de l’Euro. Sur les quinze arrestations réalisées vendredi 10 et samedi 11 juin, dix personnes ont été placées en garde à vue – des Anglais, un Autrichien, un Allemand, des Français et deux Russes. Un bilan judiciaire qui peut paraître faible pour ceux qui ont vécu la violence des rixes. « Samedi, au plus fort des événements, nous avons privilégié la protection des ­populations, pas les arrestations », explique Laurent Nunez.

La plupart des supporteurs impliqués dans les violences ont donc quitté Marseille sans être inquiétés. Où sont-ils ? « Avec les images, nous allons pouvoir identifier les responsables et préparer les prochains matchs », assure-t-on côté policier. Les prochaines rencontres de la Russie et de l’Angleterre sont prévues mercredi et jeudi, à Lille et Lens, respectivement contre la Slovaquie et le Pays de Galles. « Les Russes veulent être dans le Top 3 du hooliganisme européen, note Sébastien Louis. Ils ont ­marqué le coup, ils vont peut-être se faire discrets. Mais il reste les Hongrois, les Polonais, les Slovaques… »