La juge fédérale Janet Bond Arterton, de l’Etat du Connecticut, n’a pas eu la main légère quand elle a infligé, à la fin 2014, la plus lourde amende jamais prononcée dans le cadre de la loi américaine sur des faits de corruption à l’étranger : 772 millions de dollars (688,41 millions d’euros). Le coupable n’était pas américain, mais français. La société Alstom a été condamnée pour des versements de pots-de-vin répétés en Indonésie, Arabie saoudite, Egypte, aux Bahamas et à Taïwan dans les années 1990-2000. Ce coup de massue suit des condamnations au Mexique, en Italie, en Suisse et bientôt en Grande Bretagne. Et en France ? Rien.

Des sociétés ayant pignon sur rue ont construit une bonne partie de leur stratégie sur la corruption des pouvoirs locaux

C’est pour éviter ce genre de constats humiliants, et tenter de mettre fin à de telles pratiques, que l’Assemblée nationale a adopté, mardi 14 juin, un nouvel arsenal dans le cadre de la loi dite Sapin 2. Elle prévoit la création d’une agence nationale de lutte contre la corruption, une meilleure protection des lanceurs d’alerte et une justice plus libre de frapper fort. Soixante-huit procédures étaient ouvertes en France en 2015 mais aucune condamnation définitive n’a été prononcée à ce jour.

Il serait donc grand temps de moderniser la vie économique française si l’on veut tenter de réconcilier les Français avec les entreprises. Sortir d’une culture où il est de bon ton de fustiger les ravages de l’argent avec des pudeurs de séminariste et dans le même temps de fermer les yeux sur des pratiques scandaleuses sous prétexte qu’elles se passent à l’étranger et que bien entendu « tous les concurrents font pareil ». Des sociétés ayant pignon sur rue ont, comme Alstom, construit une bonne partie de leur stratégie de conquête, notamment dans les pays émergents, sur la corruption des pouvoirs locaux. Des groupes comme Alcatel ou Thales avaient déjà été coincés par le passé pour des faits similaires par des juridictions étrangères.

Hypocrisie

C’est le même genre d’hypocrisie que l’on retrouve à l’œuvre dans le domaine du lobbying. Les « représentants d’intérêt », comme les baptise le texte de loi, auront désormais obligation de déclarer sur un registre national leurs rencontres avec des ministres, des parlementaires ou des hauts fonctionnaires et publier, tous les six mois, un bilan de leurs activités et des frais engagés. Et, bonne nouvelle, l’Assemblée a réussi à maintenir une définition large des lobbies contre les pressions de la gauche qui voulait en exclure les syndicats et ONG et de la droite qui ne voulait pas qu’on y mêle les associations religieuses.

Que chacun défende ses intérêts particuliers, composantes de l’intérêt général, est bien naturel. A l’Etat, d’écouter tout le monde, voire de négocier, mais en toute transparence et en s’assurant de conserver un niveau d’expertise, et de probité, qui lui assure l’indépendance face aux pressions qui l’assaillent de toutes parts.