« Les arnaques se multiplient : l’Autorité des marchés financiers a reçu plus de 12 000 plaintes sur le sujet en 2015 », avec des messages dont les brokers chypriotes se sont faits les spécialistes tels que « gagnez 3 000 euros en quelques jours » ou « formez-vous facilement au trading ». | DENIS CHARLET / AFP

Par Pierre-Antoine Dusoulier, PDG de Saxo Banque

A priori, le gouvernement a sorti la grosse artillerie. Dans le projet de loi dit « Sapin 2 », qui sera discuté mi-juin à l’Assemblée, c’est une interdiction totale des publicités sur internet pour certains produits financiers à risques – ceux que les particuliers peuvent acheter sans passer par l’intermédiaire de leur banque – que les autorités ont prévu d’insérer.

Les « CFD » (qui permettent de miser sur la variation à la hausse comme à la baisse du cours d’une action ou d’un indice) et les produits de Forex ([Foreign Exchange Market] leur équivalent sur le marché des devises) sont particulièrement ciblés.

A priori aussi, cette décision s’applaudit. Car les arnaques se multiplient : l’Autorité des marchés financiers (AMF) a reçu plus de 12 000 plaintes sur le sujet en 2015, soit dix-huit fois plus que qu’en 2011 ! Et les victimes – de simples particuliers, sans connaissances financières – entrent en général dans l’engrenage fatal en cliquant effectivement sur de simples bannières web, disposées sur des sites grand public.

Avant tout des sociétés basées à Chypre

Leurs auteurs ? Avant tout des sociétés basées à Chypre – un État plus que souple dans la délivrance des autorisations d’exercer – et qui agissent en France grâce au principe européen de libre prestation de service. Dotées d’équipes commerciales au discours bien rodé (en français !), elles sont championnes à la fois pour inciter les victimes à investir de plus en plus d’argent sur des instruments financiers très complexes, et pour cesser net tout contact lorsque ces particuliers demandent à retirer leurs fonds – des pratiques qui, bien entendu, sont interdites par les règles de l’AMF, et que les acteurs sérieux, agréés en France, respectent.

Le souci, c’est que cette « interdiction totale » prônée par les autorités risque fort d’être aussi… d’une totale inefficacité ! La mesure gouvernementale – soufflée par l’AMF - vise en effet à interdire toute publicité en ligne qui mentionnerait les produits risqués tels que « CFD » et « Forex ».

Or, rares sont les brokers chypriotes qui utilisent ces termes – trop effrayants pour la « ménagère » – dans leurs bannières ! Des messages tels que « gagnez 3 000 euros en quelques jours » ou « formez-vous facilement au trading » sont bien plus efficaces. Dommage : la fameuse « interdiction totale » ne les touchera pas…

Une mesure permettrait en fait d’atteindre directement ces « bad brokers » : interdire toute publicité à ceux qui n’ont pas fait la preuve de leur sérieux et de leur souci de respecter les règles applicables en France – en ayant par exemple obtenu un agrément spécifique, dit « de négociation pour compte propre ».

Fin du sponsoring de certaines équipes de foot

Le terme, aux allures techniques, signifie simplement que la société n’est pas un simple intermédiaire mais qu’elle porte elle-même les risques des contrats sur lesquels elle s’engage, donc qu’elle dispose de fonds propres bien plus élevés. Etablir une liste des opérateurs – peu nombreux – qui disposent de cet agrément et imposer aux régies publicitaires de la prendre en compte pour accepter ou refuser de diffuser une campagne de publicité, voilà qui permettrait d’éliminer d’un coup celles des brokers chypriotes – l’immense majorité de ces derniers ne disposant pas de cet agrément, difficile à obtenir.

Certes, dans ce cas de figure, il faudrait aussi décréter la fin du sponsoring de certaines équipes de foot par les brokers chypriotes incriminés. Pas facile à faire passer, surtout à quelques semaines de l’Euro ! Dans ce cas aussi, les opérateurs qui ont le fameux agrément, respectent les règles, et acceptent d’ouvrir un compte aux seuls individus avertis, conscients des risques pris (via un dépôt minimum de plusieurs milliers d’euros et des tests de connaissance poussés par exemple) – continueraient de faire de la publicité.

Enfin, il est certain que dans les journaux, une interdiction « partielle » qui s’appliquerait aux seuls opérateurs non-détenteurs de l’agrément, sonne moins bien, en gros titre, que sa version « totale ».

Mais les autorités n’ont-elles pas l’efficacité comme seul objectif, loin de toute considération qui relèverait de la pure communication ? Au regard des discours tenus à l’attention des entrepreneurs, ne considèrent-elles pas également la prise de risques – lorsque ces derniers sont correctement évalués – comme une qualité majeure ? Aucun doute donc : la version initiale du texte présentée en conseil des ministres en mars va être amendée…