Marine Le Pen et Florian Philippot, présidente et vice-président respectifs du Front national, le 10 mai 2016, au Parlement européen, à Strasbourg. | VINCENT KESSLER / REUTERS

En temps normal, le Front national parvient à se faire entendre sans mal dans le débat public. Mais depuis le début de la mobilisation contre la loi El Khomri, le parti d’extrême droite peine à apparaître comme un moteur de l’opposition au texte porté par la ministre du travail. La faute à une posture perçue comme brinquebalante, entre sa volonté de répondre aux aspirations de souplesse des chefs d’entreprise et celle d’affirmer son soutien aux salariés face au risque d’une supposée plus grande précarité.

L’imbroglio autour des amendements frontistes déposés au Sénat, la semaine dernière, dans le cadre de l’examen du projet de loi en témoigne. Plusieurs amendements des sénateurs FN David Rachline (Var) et Stéphane Ravier (Bouches-du-Rhône), à la tonalité très libérale, proposaient ainsi la suppression du compte pénibilité, le doublement des seuils sociaux ou encore la limitation « du monopole syndical ».

M. Rachline renvoie la responsabilité sur ses assistants parlementaires, trop zélés, selon lui, qui auraient déposé des amendements qu’il n’a pas validés. Ces derniers ont finalement été retirés à la demande de la direction du parti, selon un dirigeant frontiste interrogé par l’AFP. Ou quand le débat qui traverse le FN depuis des mois – le réservoir électoral de la formation lepéniste se situe-t-il à droite, ou autant à droite qu’à gauche ? – se retrouve sous les feux d’un sujet concret.

De son côté, Marine Le Pen a tranché la question. La position que la présidente du Front national défend est commune avec celle de son vice-président Florian Philippot, qui dénonce un projet de loi « infâme » qui « va précariser le travailleur ». Hors de question de privilégier un électorat plutôt qu’un autre. Hors de question, surtout, de s’aliéner l’électorat populaire, qui constitue une part importante de ses soutiens. La lecture des sondages permet d’analyser sa position.

Une mobilisation « justifiée »

Dans une note de l’IFOP à paraître, vendredi 17 juin, que Le Monde a pu consulter, le soutien massif des sympathisants du parti d’extrême droite pour la mobilisation contre la loi travail apparaît clairement : 72 % d’entre eux jugent le mouvement de protestation « justifié » (enquête menée du 6 au 8 juin). Ils sont même 46 % à le considérer comme « très justifié ». Une proportion plus élevée par rapport à l’ensemble des sondés, puisque 59 % d’entre eux estiment la mobilisation « justifiée » et 28 % « très justifiée ». Dans le même temps, seuls 31 % des sympathisants du parti Les Républicains la jugent « justifiée ». Ils sont tout juste 7 % à la trouver « très justifiée ».

Les violences et les dégâts commis en marge de la manifestation parisienne contre le projet de loi, mardi 14 juin, n’ont pas entamé la bienveillance de Mme Le Pen pour les manifestants – qu’elle ne manque jamais de distinguer des « responsables syndicaux ». « Je fais la part des choses entre la légitime contestation de la loi travail par les Français, que nous combattons depuis le premier jour et qui n’est que l’imbécile traduction de recommandations européennes (…) et l’action de ces hordes d’extrême gauche que personne ne devrait accepter de voir sévir sur notre territoire », a écrit sur son blog, mercredi 15 juin, la députée européenne. Qu’importe que son compagnon Louis Aliot, vice-président du FN, ait déclaré, mardi, dans Le Journal du Centre, que « la grève est un système archaïque ». La plupart du temps, le parti d’extrême droite et ses sympathisants se trouvent sur la même ligne que les salariés frondeurs.

En octobre 2015, seuls 34 % des sympathisants frontistes condamnaient les exactions de certains salariés contre les dirigeants d’Air France, rappelle ainsi la note de l’IFOP. Une proportion qui grimpait à 66 % chez ceux des Républicains. « Il y a une bienveillance vis-à-vis d’une certaine virilité dans les rapports sociaux », relève Jérôme Fourquet, directeur du département opinion de l’IFOP, pour qui la présidente du FN se trouve en concurrence avec Jean-Luc Mélenchon sur le segment de l’électorat « insoumis ». Au moment de la réforme des retraites, en 2010, 56 % des sympathisants frontistes soutenaient la mobilisation contre le projet de loi : ils n’étaient que 8 % dans le même cas à droite. Même chose en 1995, avec les protestations contre les réformes Juppé : 60 % des frontistes approuvaient la mobilisation, contre seulement 20 % des sympathisants RPR et 28 % de ceux de l’UDF.

De quoi conforter M. Philippot, pour qui la sociologie de l’électorat FN n’a rien à voir avec celle de l’électorat de droite, et qu’il serait donc illusoire de chercher à séduire ce dernier en priorité.