Raymond Soubie, en 2010 à Paris. | BERTRAND GUAY / AFP

Ex-conseiller social de Nicolas Sarkozy à l’Elysée et président des sociétés de conseil Alixio et Taddeo, Raymond Soubie livre son point de vue sur les programmes économiques des candidats à la primaire à droite : pour qu’ils puissent être mis en œuvre, en cas d’alternance en 2017, le pouvoir en place devra manœuvrer avec doigté et se concentrer sur un nombre limité de mesures, bien hiérarchisées, explique M. Soubie.

Les programmes économiques des candidats à la primaire à droite vont très loin, notamment en matière de flexibilisation du marché du travail et d’assouplissement des contraintes pesant sur les employeurs. Peuvent-ils être acceptés par la population, en cas d’alternance en 2017 ?

Ils reprennent des idées issues d’une forme de consensus partagé par de nombreux économistes : Jean Tirole, Philippe Aghion, Marc Ferracci, etc. La plupart ne sont pas des spécialistes du social, ils ont bâti leurs analyses en étudiant notamment les réformes engagées à l’étranger, mais sans se poser la question de savoir si les mesures qu’ils préconisent sont socialement acceptables dans notre pays. Il faut donc bien réfléchir en amont sur la manière dont elles sont mises en œuvre.

La légitimité, tirée du suffrage universel, suffit-elle pour faire passer les mesures exposées durant une campagne présidentielle ?

Dans ce type de scrutin, les citoyens se prononcent sur une personnalité et sur les orientations générales que celle-ci défend. Mais il ne s’agit pas d’un mandat en blanc pour appliquer un programme. Une fois entrés en fonction, le chef de l’Etat et le gouvernement doivent expliquer précisément ce qu’ils vont faire. Les enquêtes d’opinion montrent, certes, que les Français sont d’accord pour qu’il y ait des réformes mais dès que l’on passe à leur mise en œuvre, la réaction peut être beaucoup moins favorable.

En matière sociale, on n’est jamais à l’abri d’une contestation de la population. Voyez ce qui s’est passé en 1995. Tout est parti d’une déclaration d’Alain Juppé annonçant la création d’une commission pour examiner l’éventualité d’une réforme des régimes spéciaux de retraite et ses modalités. Dans les quelques jours qui suivirent, ce fut le calme absolu, puis les syndicats ont lancé un appel à la grève de vingt-quatre heures et le conflit a finalement duré trois semaines.

Quelle est, d’après vous, la meilleure manière pour agir ?

Les réformes auront du mal à être avalisées par un accord national, interprofessionnel. Donc je crois plutôt en une concertation préalable avec les partenaires sociaux, les décisions ultimes revenant à l’Etat. Mieux vaut se montrer sélectif, en retenant un nombre limité de mesures et en les hiérarchisant.

En matière de protection sociale, des changements sont possibles. Par exemple sur le recul de l’âge de départ à la retraite – on y est bien parvenu en 2010. S’agissant du droit du travail, les choses peuvent aussi évoluer, mais il ne faut pas tout bousculer simultanément : quelques mesures seraient envisageables pour rendre le système plus lisible, plus prévisible – sur le modèle de ce qu’a fait Matteo Renzi en Italie avec la création d’un nouveau contrat de travail, intermédiaire entre le CDD et le CDI, dont la rupture est facilitée pendant les trois premières années suivant l’embauche et avec des droits qui s’étoffent en fonction de l’ancienneté.

Comment jugez-vous la façon dont le gouvernement a manœuvré sur le projet de loi El Khomri ?

Il faut tirer les leçons de ce qui s’est passé avec ce texte. L’intention affichée au départ était de privilégier la négociation d’entreprises – idée d’ailleurs défendue par plusieurs think tank de gauche comme de droite (Terra Nova, Institut Montaigne…). Mais des dispositions supplémentaires, sur le droit du licenciement, ont été greffées en cours de route sans qu’elles aient été préalablement discutées avec les partenaires sociaux. Beaucoup y ont vu un permis de licencier donné aux chefs d’entreprise, une possibilité accordée aux employeurs de défaire les protections du salarié. Le pouvoir exécutif n’a pas su anticiper la réaction de l’opinion.