« Dans les années 1980, et pour la première fois depuis la seconde guerre mondiale, ce sont les méthodes de gestion des Japonais qui ont démontré leur supériorité sur les Etats-Unis » (Photo: cours de cuisine à l’Institut Paul-Bocuse, en 2013). | © Robert Pratta / Reuters / Reuters

L’enquête de la Fondation nationale pour l’enseignement de la gestion des entreprises (Fnege), sur l’impact de la recherche en management a posé à 1 600 managers français et diplômés d’écoles de gestion la question suivante : « Selon vous, quel est le penseur, auteur ou chercheur vivant, qui a le plus d’influence au monde dans le champ du management ? » Sur le podium de Top 50, sans grande surprise, on retrouve Michael Porter, Henry Minzberg et Clayton Christensen, tous professeurs dans les grandes universités nord-américaines.

Plus intéressant est la dixième place. On y retrouve Tom Peters, le premier des gourous du management de cette liste. Consultant, ancien de chez Mc Kinsey, il a inauguré dans les années 1980 cette classe de penseurs non-académiques. Une primauté qui lui est parfois contestée par Peter Drucker. Mais à la différence de ce dernier, le monde de l’entreprise a entretenu une véritable relation amour/haine avec Tom Peters, surtout aux Etats Unis.

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Dans les années 1980, et pour la première fois depuis la seconde guerre mondiale, la « Corporate America » a commencé à douter d’elle-même. Au-delà de leurs automobiles et transistors, ce sont les méthodes de gestion des Japonais qui ont démontré leur supériorité sur les États-Unis. Certains ont souligné que ces méthodes provenaient des théories de l’Américain Edward Deming simplement pour admettre que c’est encore pire que cela : les entreprises américaines sont tellement aveuglées qu’elles ne sont même pas capables de reconnaître les idées qui sont devant leurs yeux.

Promu gourou

Et voilà que dans ce paysage lourd surgit Tom Peters avec un message rassurant : il y a aux Etats-Unis des dizaines d’entreprises excellentes dont les leçons devraient être apprises par tous. Il n’en fallait pas plus à ce pays foncièrement optimiste – ce que les Européens perçoivent parfois comme de la naïveté – pour que le livre coécrit par Tom Peters et Robert Waterman rencontre un succès phénoménal et que lui-même – ne ménageant pas ses efforts pour sillonner le pays – soit promu gourou.

Mais ce succès populaire avait une face d’ombre. Selon les propres mots de Tom Peters, son livre, In Search of Excellence (Le Prix de l’excellence, 2e édition, Dunod, 2004), constituait une attaque frontale contre le « modèle rationnel » de l’entreprise et la « planification stratégique ». Or, il s’agissait de piliers pour les entreprises occidentales. Rien d’étonnant dans le fait que les préceptes organisationnels de Tom Peters, bien que populaires, étaient rarement été mis en œuvre, tout comme vingt ans plus tôt, les préceptes de Douglas McGregor (1906-1964).

Il faut admettre que M. Peters ne faisait pas tout pour se faire accepter. Au contraire : son feu d’artifice incessant de propositions avait de quoi perturber.

Messages perturbateurs

Primo, il ne faisait jamais dans la dentelle. Exemple : « On ne fusille pas les salariées qui font des erreurs. On fusille ceux qui ne prennent pas de risques ». Ou encore : « Vous prenez l’initiative ou… vous êtes viré par vos coéquipiers. » Tom Peters concédait que ses messages fassent peur pour ajouter, aussitôt, que le temps des messages réconfortants était révolu.

A sa décharge, il s’appliquait ses principes. Salarié de Mc Kinsey, il publia dans Wall Street Journal une tribune pour affirmer que les « plans stratégiques » ne servent à rien – domaine principal de conseil de son employeur. Un an après – et un an avant la parution de son livre – il devait quitter McKinsey.

Secundo, M. Peters, l’impatient, n’attendait pas qu’on assimile ses messages dérangeants pour en rajouter une couche. Dans un de ces livres, tous les titres des chapitres sont composés d’un terme perturbateur en soi, précédé par un « au-delà » : « au-delà de la décentralisation », « au-delà de l’empowerment », « au-delà de la désintégration »…

Tertio, il se contredisait et à dessein. Cinq ans après avoir introduit le concept de l’excellence, il déclare qu’il n’y a pas d’entreprises excellentes et qu’il faut viser la flexibilité… Puis la désorganisation. Puis l’enchantement du client… Et lorsqu’il n’abandonnait pas ses concepts, il les critiquait.

La liberté de faillir

Ainsi, dix ans après avoir promu les équipes autogérées, il écrivait que ces équipes sont un « édifice à mi-chemin de la hiérarchie » en ajoutant que « là où il reste de la hiérarchie on ne pourra jamais repenser les fondamentaux du management ».

Enfin, et pour aggraver son cas, Tom Peters est capable de faire évoluer sa pensée au sein d’un même livre. Ainsi, dans la préface de Liberation Management (Entreprise libérée, Dunod, 1993), il écrit que ces 800 pages ne portent que sur un seul sujet : la mode. Que toutes les entreprises évoluent dans un environnement qui ressemble à celui des maisons de haute couture ou des studios de Hollywood. Que pour y réussir elles doivent libérer leur flaire, leur bravade, leur piratage et leurs jeux de hasard.

Puis, tout au long de ses 47 chapitres, il passe d’un sujet à l’autre en consacrant, selon ses mots, 50 % du livre aux structures organisationnelles. Notons – car le titre français Entreprise libérée induit une confusion – que Tom Peters n’y mentionne jamais la liberté en tant que principe d’organisation. Pire encore, il n’utilise jamais dans le livre le terme « freedom », ou du moins pas avant la postface et le titre de son dernier paragraphe : « Freedom to Fail ».

Tom Peters y raconte comment, lors d’un séminaire en 1991, un manager dit à ses collègues : « Aucun de vous ne capte les propositions de Peters, mais elles sont tellement libératrices ». « Et c’est comme ça, dit-il, qu’est né le titre de ce livre » : un ouvrage qui a commencé par « la mode » et qui a terminé « par la liberté de faillir ».

Tom Peters, tout comme Douglas McGregor qui a influencé sa pensée, fait partie des génies des principes organisationnels, les deux s’arrêtant à la porte de principes de leadership nécessaires pour construire les organisations qu’ils préconisaient. En 2005, Peters a écrit un court essai Leadership qui résume les traits de bons dirigeants, mais ce n’est pas un livre sur les principes du leadership transformationnel, tel que le nomme les chercheurs.

Parce que Tom Peters ne cesse de nous interpeller et de nous provoquer, parce qu’il reconsidère constamment notre – et sa – façon de penser l’entreprise, parce que beaucoup de ses idées organisationnelles commencent seulement à voir le jour, parce que des centaines des leaders ont décidé de transformer leurs entreprises – pour tout ça, il faut lire ou relire Tom Peters.