Des affrontements entre policiers et manifestants à la fin de la manifestation contre la réforme du code du travail, jeudi 26 mai, place de la Nation. | Francois Mori / AP

« Un jeune homme a été blessé sérieusement », puis hospitalisé, à la suite de heurts en marge du cortège parisien contre la réforme du code du travail, jeudi 26 mai, a indiqué le ministère de l’intérieur dans un communiqué. Le jeune homme de 28 ans, qui se présente comme un journaliste indépendant, et qui s’est effondré juste après le lancement d’une grenade de désencerclement, est toujours hospitalisé et son état n’est pas stabilisé, selon le parquet de Paris.

Une enquête préliminaire, ouverte par le parquet de Paris, a été confiée à l’inspection générale de la police nationale (IGPN). La police des polices a été saisie pour « violence volontaire par personne dépositaire de l’autorité publique », rapporte le parquet au Monde. Du côté du ministère de l’intérieur et de la préfecture de police, la prudence est de mise, sachant que l’enquête vient de commencer. « Pour l’heure, rien n’indique que le manifestant a été blessé en raison de l’intervention des fonctionnaires », insiste le parquet. L’affaire survenue mardi fait également l’objet d’une enquête administrative.

Regroupement de manifestants

Mardi, 18 h 30, la place de Nation est vide. La manifestation s’est terminée, comme à l’accoutumée, par des affrontements entre manifestants et forces de l’ordre. Les derniers manifestants ont été chassés à grand renfort de gaz lacrymogènes. Un cordon de policiers borde encore l’ensemble de la place.

A moins d’un kilomètre de là, une centaine de manifestants s’est regroupée vers la porte de Vincennes, après avoir été « refoulée par les gendarmes qui avançaient vers l’avenue du Trône », rapporte Olivier Laban-Mattei, photographe de l’agence MYOP, qui couvrait les manifestations pour Le Monde. Sur ce point, la préfecture de police de Paris assure qu’un cortège autonome s’est dirigé de lui-même vers la porte de Vincennes.

Le rassemblement se mue alors en manifestation sauvage, où des velléitaires au blocage du périphérique se font entendre. « Tous au périph ! », lancent certains, selon John (le prénom a été modifé), secouriste dans les manifestations. Un projet rapidement avorté en raison de la présence, massive, des forces de l’ordre. Certains d’entre eux, notamment des policiers en civil, tentent d’interpeller des manifestants, qui commencent à se disperser. Un lycéen est arrêté par une compagnie d’intervention.

Une interpellation cristallise les tensions

Son interpellation suscite l’indignation des manifestants qui invectivent les policiers. Ces derniers – au nombre de dix selon un témoin et de cinq selon la préfecture – se retranchent dans un immeuble, après avoir sonné à l’interphone, situé à l’angle de l’avenue du Trône et de la rue du Général-Niessel. « Les gens se massent devant et demandent sa libération. La foule est très énervée. Certains hurlent », assure John.

Là, des renforts arrivent sur place et sont pris à partie. Selon la préfecture de police de Paris, les forces d’intervention essuient des jets de projectiles. D’après un journaliste du Monde, aucune dégradation de mobilier urbain n’a été constatée.

John, lui, assure que les forces de l’ordre « ne sont pas acculées par une foule de manifestants ». Le photographe Olivier Laban-Mattei nous confirme cette version : « Les manifestants n’ont pas l’intention de s’en prendre physiquement aux forces de l’ordre. » Ces dernières décident pourtant de les disperser à l’aide de gaz lacrymogènes et de grenades de désencerclement selon certains manifestants – une au moins est reconnue par la préfecture.

Un jeune homme s’effondre

Sur deux vidéos, relayées sur les réseaux sociaux, les policiers semblent sur la défensive ; l’un d’entre eux jette vers le sol une grenade de désencerclement en direction de manifestants qui ne sont visiblement ni armés ni menaçants. Consécutivement à l’explosion de la grenade, à moins de deux mètres de l’explosion, un jeune homme, ayant une GoPro vissée sur la tête, s’effondre au sol. Les manifestants se ruent alors vers lui pour lui porter secours et le mettre à l’écart. Le jeune homme, qui se présente comme un journaliste indépendant, saigne fortement au niveau de la tête, rapporte John, qui lui a porté secours :

« Je vois que deux autres secouristes sont présents. Je mets mon matériel à disposition. Le manifestant est couvert de sang. Il a une grosse hémorragie au niveau de la tempe. »

Des policiers de la BAC et des gendarmes, l’air hagard, se massent ensuite autour de la victime, alors qu’en arrière-plan, une autre compagnie d’intervention continue de riposter contre les manifestants. « On a senti qu’ils voulaient prendre le contrôle de la situation. Un gendarme nous tend un pansement compressif. Un CRS secouriste arrive derrière », rapporte John.

Les pompiers, eux, arrivent vingt minutes plus tard pour prodiguer les premiers soins à la victime, dont l’hémorragie a été stoppée par les passants. Deux fonctionnaires montent dans leur véhicule, qui s’éloigne, à quelques centaines de mètres plus loin, pour transférer la victime dans un camion de réanimation.

« C’est très courant dans ce genre de situation que les pompiers demandent à des fonctionnaires de les accompagner pour des raisons de sécurité », rapporte Luc Poignant, membre du syndicat Unité SGP Police. « Quand une personne est blessée, les policiers l’accompagnent parfois, surtout quand la victime est seule, ce qui était le cas », abonde la préfecture de police de Paris.

L’utilisation de grenades de désencerclement contestée

Selon les témoins sur place, au moment de son transfert dans le camion de réanimation, la victime a poussé des hurlements, notamment contre les pompiers. L’état de la victime n’est pas stabilisé, rapporte le parquet de Paris :

« Il est toujours à l’hôpital, son état n’est pas stable, il n’a pas pu être entendu. »

Selon les premiers éléments de l’enquête communiqués par le parquet de Paris, les forces de l’ordre ont bien eu recours « à une grenade de désencerclement ». Ces dernières, qui projettent des plots de caoutchouc en explosant, peuvent blesser gravement en cas d’utilisation inappropriée. Les forces de l’ordre ont en principe pour consigne de s’en servir en cas de danger, par exemple lorsqu’elles sont en « situation d’encerclement ou de prise à partie par des bandes armées ». Elles doivent également les lancer au sol.

Au regard des éléments rapportés par les témoins sur place, la posture de non-violence des manifestants ne justifiait pas d’avoir recours à cette arme non létale, estime John :

« L’usage des grenades de désencerclement doit permettre de se dégager face à un péril imminent, quand les forces de l’ordre sont acculées. Or là, dans ce mouvement social, elles les utilisent pour ouvrir une charge. C’est quelque chose qu’on n’avait pas vu dans les mobilisations précédentes. »

Deux mois après le début de la mobilisation, cette nouvelle enquête porte à trois le nombre d’investigations menées par l’IGPN concernant des faits de violences policières commises à l’encontre de lycéens ou de manifestants.