Marc Ferracci. « Augmenter le nombre de chômeurs formés sans augmenter le nombre d’emplois disponibles revient à évincer les chômeurs non formés. Ce qui relativise l’idée selon laquelle la formation serait la panacée ». | DR

Spécialiste de la formation professionnelle, de l’emploi et de la sécurisation des parcours professionnels, quel est l’apport de vos travaux à l’actualité économique ?

L’intérêt de l’approche empirique dans l’évaluation des politiques publiques, qui fournit parfois des résultats contr-intuitifs. Par exemple, la formation a tendance à rallonger les périodes de chômage car on réduit son effort de recherche d’emploi durant cette période.

D’autre part, augmenter le nombre de chômeurs formés sans augmenter le nombre d’emplois disponibles revient à évincer les chômeurs non formés. Ce qui relativise l’idée selon laquelle la formation serait la panacée et, plus largement, incite à tenir compte des effets indirects induits par un dispositif.

Que peut-on en déduire concernant le projet annoncé par François Hollande le 31 décembre 2015 de former 500 000 chômeurs ?

Que ce n’est pas nécessairement une bonne idée, pour deux raisons. La première est que si l’on ne donne pas les moyens de créer des emplois par ailleurs, il y aura un effet d’éviction ; la seconde est que les effets de la formation sont très hétérogènes : elle améliore fortement le retour à l’emploi de certains individus, mais, pour d’autres, l’effet sera nul, voire négatif. L’enjeu n’est donc pas d’accroître les moyens, mais de mieux les cibler.

La même démonstration aurait pu s’appliquer au crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) et au pacte de responsabilité, dont les effets sont potentiellement très différents suivant les salariés concernés. Les réductions de coût du travail appliquées à une fourchette de salaire très large (de 1 à 3,5 smics) sont une erreur, puisque les études empiriques suggèrent que les allégements de charges au-delà de 1,5 smic se traduisent par des augmentations de salaire brut et non par des embauches.

Le lobbying de certains secteurs économiques a ici pris le pas sur une démarche d’évaluation indépendante, même si France Stratégie évalue désormais le CICE en s’appuyant sur des chercheurs compétents. Je milite pour que la France acquière une véritable culture d’évaluation des politiques publiques, qui réponde à deux critères : raisonner toutes choses égales par ailleurs et en toute indépendance. Les évaluations sont aujourd’hui souvent menées par les administrations, qui dépendent du pouvoir politique. Ce qui n’est absolument pas vertueux.

Qu’aurait changé cette approche pour le projet de loi El Khomri ?

La « loi travail » est déséquilibrée, car le volet sécurité pour les salariés est insuffisant. Mes travaux montrent qu’il faut investir dans la formation de façon ciblée en se posant la question de la qualité de la formation. Sans investissement dans la formation et l’accompagnement, on ne résoudra pas les problèmes de notre marché du travail. Pour ce faire, le bon véhicule est le compte personnel d’activité (CPA).

La loi El Khomri aurait gagné à se baser sur des travaux d’évaluation et à donner, par exemple, un contenu plus substantiel au CPA, à commencer par un droit à l’accompagnement financé. La loi tourne au psychodrame, car elle n’est pas partie d’une évaluation préalable. Ce qui aurait pourtant permis d’objectiver le débat public, et peut-être de l’apaiser.