LeBron James et ses coéquipiers célèbrent le premier titre des Cavaliers de Cleveland (« Cavs »). | EZRA SHAW / AFP

« Je suis chez moi. Je suis à la maison. C’est pour ça que je suis revenu. » Tenant le trophée Larry O’Brien, récompense ultime que convoitent tous les basketteurs de la planète, entre ses bras, LeBron James n’a pas cherché à dissimuler ses lames dimanche 19 juin sur le parquet des Golden State Warriors.

Au terme d’un match d’une intensité inédite à ce niveau depuis plus d’une décennie, le leader des Cavaliers de Cleveland (les « Cavs ») venait de mener son équipe en terre promise, renversant pronostics et statistiques et brisant les rêves de gloires des champions en titre, auteurs de la meilleure saison régulière de l’histoire cette année. Interrogée par la chaîne de sport TNT sur la symbolique de ce titre après cette victoire (93-89), dans les ultimes secondes, la star a simplement répondu « I’m home » (« je suis chez moi »).

La route aura été longue et semée d’embûches pour l’enfant d’Akron (Ohio), à quelques encablures de Cleveland, mais il est enfin prophète en son pays. Adulé, lui dont les fans locaux avaient brûlé le maillot en place publique lorsqu’il avait, il y a cinq ans, décidé « d’amener ses talents à South Beach » (quartier de Miami, en Floride) comme il l’avait maladroitement déclaré, et de rejoindre le Miami Heat après plusieurs années de quête infructueuse après le titre NBA avec « ses » Cavs. Champions. Quarante-six ans après leur création, les Cleveland Cavaliers sont enfin champions NBA. Et LeBron James a tenu sa promesse.

En 2014, après avoir gagné deux titres avec le « Big Three » de Miami (Dwyane Wade, Chris Bosh et lui-même) et perdu deux finales, celui qui est surnommé « The Chosen One » (l’Elu) depuis ses années lycées annonçait « rentrer à la maison » dans une lettre ouverte adressée aux fans meurtris de Cleveland. Après s’être réconcilié avec Dan Gilbert, le propriétaire de la franchise de l’Ohio, LeBron James promettait non seulement d’apporter le titre NBA à sa ville mais aussi de rendre un peu de dignité à sa région natale, « qui a tant souffert ».

La « malédiction » est levée

Capitale un temps de la manufacturing belt (ceinture des usines), Cleveland incarne aujourd’hui la désindustrialisation et la crise des subprimes. Ajoutons à cela une « malédiction » dans le sport, qui la distingue d’une ville comme Détroit, au destin similaire mais qui a regagné une certaine fierté grâce aux succès des Pistons en NBA. A cause de « The Curse », Cleveland était la seule des quinze villes du pays accueillant une franchise dans les trois sports majeurs du pays (football américain, baseball et basket-ball) à n’avoir remporté aucun titre de champion depuis 1964, soit cinquante-deux ans de disette de résultat.

Surnommée « Miserable City », la métropole des bords du lac Erié est la ville dont on aime se moquer aux Etats-Unis. En sport notamment, du pivot français Joakim Noah affirmant en 2010 que « Cleveland craint » au « on ne choisit pas Cleveland, ça te tombe dessus » du tennisman américain Andy Roddick.

En déclarant « la malédiction est levée », au moment de tendre le trophée de champion NBA à LeBron James et ses coéquipiers, Adam Silver, le commissionnaire de la ligue de basket nord-américaine, a su trouver les mots justes. Cleveland attendait cette victoire depuis tellement de temps que sur la page Wikipédia consacrée à « The Curse », une mise à jour a été faite sitôt la fin de match sifflée, indiquant que « la malédiction a été considérée comme levée après que les Cavaliers ont remporté les finales NBA en 2016 ».

La joie des supporteurs des Cavaliers à Cleveland, après la victoire de leurs joueurs. | Jason Miller / AFP

Ce premier titre depuis plus de cinquante ans, celle qu’on n’appellera désormais plus « Miserable City » sait à quel point elle le doit à l’enfant du pays, attendu comme le meilleur joueur du monde depuis son adolescence et aujourd’hui, à 31 ans, l’un des meilleurs joueurs à avoir jamais joué en NBA : LeBron James. Drafté par la franchise de sa région en 2003, le quadruple MVP (« Most valuable player », meilleur joueur) de la saison régulière, porte depuis sur ses larges épaules les espoirs de toute une région. Et si la star a succombé aux larmes une fois le titre conquis, c’est que celui-ci fut presque impossible à atteindre.

Au four et au moulin sur le terrain

Si l’on avait dit, il y a quelques jours encore, que les Cavs allaient devenir la première équipe de l’histoire à remonter un déficit de 3-1 en finale NBA pour remporter le titre, le tout face aux Golden State Warriors, champions en titre et auteurs de la meilleure saison régulière de l’histoire, peu de gens auraient pris les paris. Pourtant, à la suite de leur leader incontesté, ils ont su inverser la tendance.

Capable de transcender ses coéquipiers, de canaliser ceux ayant la réputation de s’égarer (comme le shooteur J. R. Smith), LeBron James a mené ses troupes à trois victoires de rang contre les Warriors de Stephen Curry, double MVP en titre et petit Mozart de la NBA, dont deux dans leur forteresse de l’Oracle Arena d’Oakland, dans la baie de San Francisco. Salle qui n’avait vu ses joueurs ne perdre que deux fois cette saison.

Au four et au moulin tout au long de la série, au point de devenir le premier joueur de l’histoire de la NBA à terminer une série de playoffs en étant à la fois le meilleur scoreur, rebondeur, passeur, intercepteur et contreur des deux équipes confondues, soit les cinq principales catégories statistiques recensées, LeBron James n’a pas laissé passer sa chance dimanche. Auteur d’un triple double (27 points, 11 rebonds et 11 passes décisives), la star de l’Ohio s’est aussi chargée de briser les dernières velléités des Warriors, avec un contre incendiaire à moins d’une minute de la fin du match, et un lancer franc après une chute afin d’assurer l’écart final.

Face à des joueurs de la baie trahis par leur arme fétiche, le tir à trois points, mais décidés à conserver leur titre, LeBron James a aussi marqué les esprits en contrant sèchement, en fin de première période, la nouvelle star Curry, dont l’avènement avait un temps fait craindre au déclin de l’étoile James.

LeBron James s’est occupé de tout au cours de ces finales NBA, y compris de contrer le double MVP Stephen Curry. | EZRA SHAW / AFP

Participant cette année à sa sixième finale d’affilée – ce qu’aucun joueur n’avait fait depuis plus de cinquante ans et l’époque de la dynastie des Boston Celtics –, auteur de son septième triple double en finale NBA, le 16e en playoffs et le 58e de sa carrière, James a été élu MVP des finales à l’unanimité et n’en finit plus de se rapprocher des sommets statistiques de la ligue de basket, assurant, si le débat était encore possible, sa place parmi les meilleurs joueurs de tous les temps. Et sur les réseaux sociaux, de Manu Ginobili à Dwyane Wade, de nombreux joueurs ont salué la performance du « King », enfin couronné en son royaume.

En s’imposant sur le parquet d’une Oracle Arena d’Oakland passée du vacarme au silence en quelques secondes, les Cavaliers de Cleveland sont devenus la quatrième équipe de l’histoire à remporter un Game 7 sur le parquet adverse. Mais après avoir attendu cinquante-deux ans entre « désespoir et résignation », comme le confiait au Monde un historien en 2014, les fans de l’Ohio n’étaient pas à un écueil près à surmonter avant que LeBron James ne leur « rende leur fierté ». Maintenant place à la fête, « la plus énorme que Cleveland a jamais connue », anticipe LeBron James.