Christian Estrosi aurait pu renoncer à ses multiples mandats en toute discrétion. Il a choisi, à l’inverse, de communiquer, de faire de son désir de se conformer à la loi de non-cumul des mandats qui entrera en vigueur en 2017 un outil de marketing politique. Une fausse bonne idée ?

Maire, député, président de région, président de la métropole, cela fait beaucoup, cela relève, comme chez d’autres hommes politiques, peut-être davantage d’une soif de pouvoir que d’une capacité d’action. Dès lors, une loi qui, de façon plutôt naturelle, enjoint aux élus de se préoccuper principalement du mandat pour lequel ils l’ont été, quelle que soit la nature de ce mandat, une loi qui présuppose avec intelligence et raison que l’administration d’un territoire, quand bien même il s’agirait d’une petite ville, n’est pas une mince affaire, et exige temps et consécration, une telle loi n’est pas la bienvenue ; car elle contraint ; car elle gêne ; car elle irrite. Elle limite la volonté de puissance et aiguillonne l’ego politique de cette catégorie « socio-professionnelle » constituée des élus de la République. Le terme de catégorie socio-professionnelle n’est sans doute pas trop fort puisque les hommes politiques visés par cette loi ont fait de l’engagement politique une profession, qu’ils mènent en général bien au-delà de l’âge légal de la retraite.

La France doit compter, approximativement, entre six et sept cent mille élus. On comprend bien qu’à ce stade, la loi ne concerne qu’une toute petite partie d’entre eux. La plupart des maires de France ne se reconnaîtront pas dans ce billet, et c’est heureux. La plupart de nos élus sont dévoués à leurs tâches administratives, et si l’attachement des Français au scrutin municipal est parmi les plus élevés, c’est qu’à la fois la proximité de l’élu avec la population, l’intérêt qu’il porte au bien-être de sa commune et la qualité des élus municipaux sont notables.

Cependant, nous sommes obligés aujourd’hui de nous interroger : si le maire d’un village de 350 habitants se consacre tout entier à son mandat de maire, celui d’une ville comme Nice, qui avoisine les 350 000 habitants, ne devrait-il pas faire de même ? Est-ce que la ville de Nice est à ce point au-dessus de tous les problèmes économiques et sociaux qui frappent le pays que son maire peut se permettre de briguer un mandat de député, un autre de président de région, et d’attendre que la loi le contraigne pour y renoncer de façon calculée ? Il n’est pas possible de faire trois pas dans cette ville sans mettre le pied dans une déjection canine. Les campagnes publicitaires et les moyens engagés par la mairie n’y font que peu. N’y a-t-il pas nécessité pour le maire de s’investir davantage dans sa ville au service de la propreté plutôt que de se disperser dans autant de mandats qui ne seront embrassés qu’à moitié ? Quid de la sécurité ? Christian Estrosi a beau faire partie des maires les plus agressifs en termes de communication sécuritaire, la ville de Nice n’en demeure pas moins classée au 6ème rang des villes de France de plus de 250 000 habitants où le taux de criminalité est le plus élevé. Quid de la communautarisation ? On rencontre, en plein centre-ville, des femmes voilées de la tête au pied, marquant ainsi, depuis des années, une progression constante du fondamentalisme religieux. Quid du désert culturel que constitue cette ville et qui est une insulte à son histoire littéraire et artistique ? Paul Valéry se plaignait déjà auprès de Jean Médecin de la difficulté de transcender les sectarismes locaux pour permettre au Centre Universitaire Méditerranéen de rayonner nationalement. Rien n’a changé. L’état des lieux est même aujourd’hui pire qu’hier. N’y a-t-il pas suffisamment de sujets de préoccupation pour éviter à un maire d’être tenté de briguer d’autres mandats ?

Christian Estrosi ne s’en soucie guère, et s’il renonce aujourd’hui, c’est uniquement pour ne pas être contraint par la loi. Car sinon, pourquoi avoir gardé son mandat de député jusqu’au mois de mars dernier ? Pourquoi renoncer à celui de maire aujourd’hui, à quelques encablures de 2017 ? Mais le pire dans tout cela, ce n’est pas que l’élu d’une ville de cette envergure, qui additionne tant de problèmes, soit aveugle à la nécessité de se consacrer entièrement à sa ville, c’est la façon dont cet élu tente de garder la main sur ses mandats malgré tout. Car qui a-t-il choisi pour lui succéder à son siège de député ? Marine Brenier, une jeune conseillère municipale proche de l’intéressé. Responsable des jeunes UMP, en soutien à Nicolas Sarkozy en 2007, présidente contestée des jeunes Républicains – lors d’une élection où les accusations de « verrouillage du scrutin » et de « menaces » ont percé.

Aujourd’hui élue à l’Assemblée nationale, la jeune protégée de Christian Estrosi choisit pour être son suppléant… Christian Estrosi lui-même, qui n’aura aucun mal à la téléguider. L’intéressé cède son fauteuil de maire ? À son premier adjoint et ami, Philippe Pradal, ancien responsable de l’association des amis de Christian Estrosi. Une fois installé dans le fauteuil, Philippe Pradal nommera un premier adjoint qui ne sera autre que… Christian Estrosi, lequel continuera de présider le groupe de la majorité. Vladimir Poutine nous avait habitués à ce genre de manœuvres lorsqu’il avait joué au jeu des chaises musicales avec son premier ministre Dimitri Medvedev pour contourner la Constitution…

Nous avons là un magnifique exemple de la façon dont l’instrumentalisation de la loi est orchestrée par des élus qui ne veulent à aucun prix s’écarter du pouvoir. Christian Estrosi a choisi de communiquer sur son choix, espérant en faire un atout. Il est possible qu’il ait eu tort et qu’un départ silencieux lui eût été plus profitable. Il n’est probablement pas le seul dans ce cas, et une étude sur l’ensemble du territoire révélerait probablement une liste de noms conséquente. Au-delà des comportements de certains de nos élus, cet épisode révèle néanmoins un fait important : la loi est impuissante à moraliser les comportements de la vie politique. Que faire, dès lors, pour retendre les ressorts fatigués de notre démocratie représentative ?

Frédéric Saint Clair, analyste stratégie et communication politiques