Après le vote de confiance au gouvernement à l’Assemblée nationale le 12 mai. | CHARLES PLATIAU / REUTERS

Nos existences sont prisonnières de la tyrannie du présent, nos vies commandées par le régime de l’instantanéité. Tout, tout de suite. La sempiternelle quête de rentabilité, de performance, le culte du chiffre, de plus en plus connecté à la machine, alimentent notre désir de vitesse. La prédominance de l’impulsion réduit nos horizons. A quel profit faut-il mettre notre temps ? Les statistiques nous gouvernent, les rapports d’expertise se multiplient. Nous mesurons. Nous diagnostiquons. Nous commentons. Mais nous laissons peu de place à l’imagination, à la fine analyse de la complexité humaine.

Partout, les logiques court-termistes, l’urgence supposée ou réelle, enferment notre perception des réalités. A la recherche de croyances perdues, nous confondons savoir et information. Notre volonté de dominer notre environnement, en bons « maîtres et possesseurs de la nature » (Descartes), fait du chiffre une preuve indiscutable, une connaissance « objective » qui rassure.

L’obsession quantophrénique – la mesure exacerbée de toutes les activités humaines – doit masquer les incertitudes du monde qui vient. Pourtant, nos procédés de rationalisation ne nous permettent plus de discipliner le futur, d’y asseoir nos convictions : nous sommes prisonniers, à l’extérieur de l’action publique.

Tester de nouveaux scénarios

Les promesses de l’avenir se sont-elles évanouies avec les vieilles certitudes du passé ? Comme aveuglés par l’immanence du temps présent et impuissants face à la contingence d’un futur qui se dérobe à notre raison, nous hypothéquons notre avenir et orchestrons une véritable « expropriation temporelle » des générations futures. La jeunesse se sent lésée, contrainte de rembourser la dette collective d’un héritage dilapidé. Notre démocratie, divisée, tente de concorder ses temps. Simple scène d’improvisation, notre futur est devenu synonyme de turbulences et de précaution.

Face à l’hétérogénéité des temps et l’entrelacement des espaces, la politique doit être garante du bien commun et dessiner des lignes de fuite chères à Gilles Deleuze. Pour cela, il lui faut s’affranchir de l’intérêt électoral pour penser l’intérêt général. Imaginer des scénarios futurs et réhabiliter l’expérience cognitive au profit de nouvelles formes de gouvernement. Et si l’imagination nous permettait de révéler, d’exprimer du désir ? Et si une politique de l’anticipation transformait les incertitudes en opportunités ?

Des utopies pour l’action publique

L’Institut de la gestion publique et du développement économique (IGPDE), chargé de la formation continue des agents de l’administration de l’économie et des finances, organise mercredi 25 mai les 15e Rencontres internationales de la gestion publique à Bercy, sur le thème des « utopies pour l’action publique ».

Au programme, des conférences du sociologue Bruno Latour et des philosophes Michel Serres et Daniel Innerarity, et deux tables rondes :

– « L’Etat face à sa modernité », avec Marc Abélès (EHESS), Isabelle Bruno (Lille-II), Dominique Cardon (Orange Labs), Maja Fjaestad (secrétaire d’Etat auprès de la ministre chargée « du futur »), David Graeber (London School of Economics) ;

– « Des utopies en devenir », avec Frédérique Aït-Touati (EHESS), Laurent Ledoux (ministère belge des transports), Zak Allal (Université de la singularité, Google et NASA), Michel Lallement (CNAM), Audrey Tang (hacktiviste, Taïwan).

Renseignements: www.economie.gouv.fr/igpde-seminaires-conferences/rigp-2016

« Le Monde » publie sur son site Internet plusieurs textes des contributeurs de cette journée.

Si la planification des politiques publiques est ancienne au sein de nos administrations, elle échoue aujourd’hui à saisir la complexité sociale. Il est ­désormais nécessaire de bousculer nos cadres de pensée. Croiser nos savoirs pour identifier la nouveauté. L’eurythmie démocratique a besoin de nouvelles expérimentations aux lisières de divers champs disciplinaires : sciences humaines et sociales et arts doivent être combinés. Les nombreux défis à venir nécessitent un gouver­nement différentiel, une articulation cohérente des temps. A nous de revisiter notre futur, de le ponctuer de projets à long terme et de faire de l’espérance collective une nouvelle politique de civilisation.

Inventer son avenir plutôt que de le découvrir : et si l’imagination permettait aux pouvoirs publics de s’extraire de cadres contraignants afin de tester de nouveaux scénarios ? De stimuler des visions utopiques et désirables de la gestion publique ? De se débarrasser des façons anciennes de raconter le monde, de penser et d’agir sur le futur ?

A l’aube d’échéances électorales, avançons même une idée pour les débats politiques qui s’annoncent : la « création d’un ministère de l’avenir » dont l’objectif serait de penser le long terme dans les politiques publiques, d’anticiper les changements et non plus de les subir… « L’imagination au pouvoir », c’était il y a cinquante ans déjà. Il est temps.