Cette salle de cinéma-là n’est pas plongée dans le noir. C’est même tout l’inverse : la lumière du jour inonde ses murs et ses fauteuils blancs. A la place de l’écran, une baie vitrée donne directement sur la rue de Turenne, dans le 3e arrondissement de Paris, où ce cinéma hors du commun a élu domicile. C’est que le PickupVRcinema ne diffuse pas des films classiques, mais des films en réalité virtuelle (VR), en 360°. Alors que les casques permettant de consulter ce type de contenus font leur entrée sur le marché, la première salle de cinéma consacrée à cette technologie ouvre ses portes jeudi 19 mai à Paris.

« Pendant le film, il arrive que les gens se tiennent la main »

Une promesse intrigante, tant l’expérience de la réalité virtuelle paraît solitaire : casques visuel et audio vissés sur la tête, le spectateur est coupé de tout lien avec l’extérieur et ne risque pas de partager grand-chose avec son voisin. Ceux qui aiment profiter du romantisme et de l’obscurité d’une salle de cinéma pour se susurrer des mots à l’oreille ou s’échanger quelques baisers pourront passer leur chemin. Mais pour Brice Rocton, cofondateur du cinéma, il s’agit bel et bien d’une « expérience collective ». « C’est comme avec le cinéma traditionnel : regarder Interstellar seul chez soi ou au ciné avec des amis, ce n’est pas la même chose. On se rend compte que ça déclenche un énorme besoin de communiquer après le film. Et même pendant, il arrive que les gens se tiennent la main. »

La petite salle, d’une quarantaine de mètres carrés, accueille seize sièges en tout, qui permettent de tourner sur soi-même, pour profiter sans torticolis de l’expérience. Problème : l’espacement entre chacun d’entre eux est un poil insuffisant, et il n’est pas rare de rencontrer par hasard le pied de son voisin – ce qui a le don de vous ramener fissa à la réalité.

Grand spectacle, documentaires et films d’horreur

Chaque séance peut accueillir seize spectateurs. | Morgane Tual / Lemonde.fr

On aurait peut-être pu rêver de sièges plus spacieux ou moelleux pour une salle de cinéma, mais on oublie ces détails aussitôt le casque fixé sur le crâne. Après une brève initiation au fonctionnement de la machine et quelques réglages élémentaires, la séance peut commencer. Bien que chacun dispose de son propre casque, le programme est le même pour tout le monde, et diffusé simultanément. Chaque séance dure une quarantaine de minutes et comprend de trois à cinq films, choisis avec soin. Et c’est notamment là que réside, selon ses fondateurs, sa valeur ajoutée : « Nous avons un vrai rôle de sélection de contenu », estime Brice Rocton, toujours à la recherche de pépites pour enrichir sa programmation, si possible en exclusivité. Cinq types de séances sont proposés, avec chacune une thématique propre : grand spectacle, frisson, voyage, état du monde et « french touch ».

On y trouve des œuvres très diverses, comme par exemple le superbe LovR, plongée infographique dans les mécanismes de l’amour.

Mais aussi le spectaculaire Sonar, dans lequel le spectateur pénètre au cœur d’un astéroïde à bord d’un vaisseau spatial, ou encore le documentaire The Ark, sur les quatre derniers rhinocéros blancs au monde.

On peut aussi y découvrir l’effrayant Killer Deal, court-métrage d’horreur à la réalisation plus classique, qui donne un aperçu de l’énorme potentiel de la VR pour l’épouvante. Au point de parfois dépasser les bornes. « J’ai vu un film d’horreur terrifiant en VR, ça n’en était même plus ludique, se souvient Brice Rocton. On était dans une cave avec un enfant mort-né qui nous courait après. En fait, les réalisateurs sont allés trop loin, trop vite, avec la VR. Il y a un retour en arrière depuis. » Pour Hadrien Lanvin, cofondateur du cinéma, le public n’est pas encore prêt :

« C’est comme si vous n’aviez jamais vu de film d’horreur et que vous commenciez par le plus gore. Là, il faut tout recalibrer, c’est une acculturation des deux côtés, pour le spectateur mais aussi le réalisateur. Quand on choisit nos films, on se pose la question du confort du spectateur. On ne veut pas qu’ils se sentent mal à l’aise. »

L’expérience est à la hauteur, et les films montrés font globalement honneur aux promesses de cette technologie. Mais la réalité propre à la VR rattrape parfois le spectateur : contact avec un pillier proche du siège, buée sur l’écran par temps orageux ou démangeaison inopinée de paupière peuvent rapidement gâcher la séance.

Autre bémol : les films sont tous en anglais. « Les productions ne sont faites quasiment qu’en anglais aujourd’hui, même les films français, regrette Hadrien Lanvin. Mais ce n’est qu’une question de temps avant qu’on ait des productions en français. » Quant aux sous-titres, mieux vaut les éviter car ils nuisent à l’expérience, assure Brice Rocton.

Et demain ?

Le cinéma est équipé de Samsung Gear VR, qui fonctionne grâce à un smartphone inséré dans le casque. | Morgane Tual / Lemonde.fr

Au final, la séance est certes sympathique, mais on ne peut s’empêcher de s’interroger sur l’avenir d’une telle salle. S’il est naturel que la curiosité pousse les néophytes à venir y découvrir la réalité virtuelle, mais trouveront-ils encore un intérêt à s’y rendre si le grand public finit par s’équiper ? D’autant qu’il faut tout de même débourser 15 euros pour une séance de quarante minutes. Pour Brice Rocton, cela ne fait aucun doute :

« C’est la même peur que lorsque les gens se sont équipés de grands écrans et de projecteurs à la maison. Mais demain, les salles seront équipées de la toute dernière version du matériel, qui n’aura pas atteint le grand public. Et aujourd’hui, il y a certains films qui ne sont faits que pour un casque en particulier. Si vous ne disposez que d’un seul casque, vous ne pourrez pas tout voir. Nous, on adapte les films pour les présenter à travers notre écran. »

La petite entreprise a fait le choix du Samsung Gear VR, car contrairement aux casques les plus célèbres, celui-ci ne nécessite pas d’être raccordé à une machine : tout fonctionne sur un simple smartphone inséré dans le casque. « Et c’est deux fois moins cher que les grosses installations, poursuit Hadrien Lanvin. Environ 1 000 euros en tout. »

« Une grande partie de notre boulot consiste à faire de l’accompagnement pédagogique »

Ce qui n’empêche pas une logistique non négligeable : nettoyage des lentilles de l’appareil avant chaque séance, lavage hebdomadaire des mousses en contact avec le visage (« On espère avoir bientôt des sortes de bonnets de douche à mettre par-dessus », précise Brice Rocton), et les quelques soucis techniques inévitables en présence de seize machines, qui plus est peu maîtrisées du public. « Une grande partie de notre boulot consiste à faire de l’accompagnement pédagogique, mais avec le temps, ça va s’alléger, les gens sauront comment s’en servir », assure Brice Rocton.

Pourra-t-on un jour imaginer des salles de VR proposant des expériences avec d’autres types de casques ? Le HTC Vive, par exemple, se prêterait bien à un lieu à part : contrairement aux autres casques de VR, il permet de se déplacer dans l’espace et d’utiliser des objets dans le monde réel, retranscrits dans le monde virtuel. Produit haut de gamme, coûteux en espace, voir potentiellement dangereux (le risque de se prendre un mur ou de briser un vase Ming n’est pas exclu), pas sûr qu’il s’invite de sitôt dans tous les salons.

Mais pour l’équipe de PickupVRcinema, il est encore trop tôt. « Aujourd’hui, ça n’existe pas pour une question d’espace. Dans cette pièce, on peut mettre un Vive, mais c’est tout », soutient Hadrien Lanvin. « Et il faut trouver un modèle économique, ajoute Brice Rocton. Le Vive, c’est 3 000 euros pour une seule personne. Et c’est raccordé à une machine, il faut quelqu’un derrière soi pour tenir les câbles… Demain, ça se fera, c’est sûr. Mais il y a encore pas mal de barrières à faire sauter. »

L’avis de Pixels

C’est plutôt pour vous si…

  • vous souhaitez découvrir la VR

  • vous souhaitez faire découvrir la VR

Ce n’est plutôt pas pour vous si…

  • vous avez déjà un Samsung Gear VR à la maison

  • vous misez sur une séance de cinéma pour un premier baiser

On a aimé…

  • la sélection de films

  • l’équipe aux petits soins

On a moins aimé…

  • les petits désagréments liés à la VR, comme la buée dans le casque

  • se prendre les pieds dans ceux de son voisin

  • être exposé en vitrine

La note de Pixels : 3 vases Ming sur 5