Un écran géant à la terrasse d’un bistrot, vision d’hier ou de demain ? | AFP

L’Euro sera-t-il interdit de terrasse dans les villes hôtes ? Thierry Braillard, secrétaire d’Etat au sport, le souhaite. C’est en tout cas ce qu’il a déclaré sur BFM, jeudi matin. Répondant à une question de Jean-Jacques Bourdin qui lui demandait si « les bars allaient pouvoir retransmettre les matchs sur grand écran, sur leur terrasse » pendant l’Euro, M. Braillard a répondu :

« J’en appelle à la responsabilité de chacun. (…) Mieux vaut un site très sécurisé [comme les fan-zones, dont il est le promoteur], que de laisser faire des milliers de personnes » qui vont se rassembler « de façon désorganisée ». Là, pour les forces de l’ordre, c’est impossible », sous-entendu, à gérer. « Vous avez vu les forces de l’ordre ? [épuisées selon M. Braillard]. On ne peut pas accepter qu’il y ait des rassemblements non autorisés. »

Une sortie qui n’a pas eu l’heur de plaire à Marcel Benezet, président du Synhorcat, le syndicat national des hôteliers, restaurateurs, cafetiers et traiteurs. « C’est trop, c’est trop. La coupe est pleine. On nous avertit la veille pour le lendemain. C’est nous mettre à genou alors que l’on subit depuis neuf mois [les attentats de novembre, le mauvais temps] », a-t-il réagi sur RMC. Il faut dire que la profession attend beaucoup de l’Euro de foot pour augmenter leurs recettes.

« On ne respectera pas ce que dit M. Braillard »

« Nous sommes furieux et scandalisés, s’emporte de son côté Didier Chenet, président du Groupement national des indépendants de l’hôtellerie et de la restauration (GNI), joint par Le Monde. De qui se moque-t-on ? Le pays est en état d’urgence. On saccage les centre-villes à Nantes ou Rennes et on nous interdirait de mettre des écrans en terrasse ? »

M. Chenet rappelle que l’Etat doit garantir la sécurité de tous les citoyens, et non pas seulement de ceux présents dans les fan-zones.

« Nous sommes des gens raisonnables, pousuit M. Chenet. Nous savons que la sécurité ne peut être assurée à 100 %. » Aussi, prévient-il : « On ne respectera pas ce que dit M. Braillard. Nous disons à tous nos exploitants qu’ils s’organisent comme ils veulent, et qu’ils peuvent installer des télévisions », tant qu’ils n’installent pas d’écrans sur la voie publique, ce qui est interdit.

Le secrétaire d’Etat aux sports Thierry Braillard (à gauche)au côté du président de la Fédération française de football Noël, le 4 juin à Metz. | FRANCK FIFE / AFP

Contacté par Le Monde, Thierry Braillard reste persuadé qu’il vaut mieux regrouper les spectateurs dans un seul lieu sécurisé, plutôt que de les laisser s’attrouper n’importe où, et en particulier aux terrasses de café. « Bourdin me demande si je pense mettre des écrans géants sur les terrasses. Or, ce rassemblement ne peut pas être sécurisé. (…) On ne peut pas nous demander d’intégrer le risque terroriste et, à deux jours [du début de la compétition], changer. » C’est justement le fait que la décision n’ait pas été anticipée qui énerve.

Le cas marseillais

La polémique est née Marseille le 21 mai, comme l’a relaté La Provence mercredi 8 juin. Ce dimanche-là, soir de la finale de la Coupe de France OM-PSG, la terrasse du Bar de La Plaine (5e) est pleine à craquer quand trois policiers municipaux débarquent et exigent le retrait de la télévision installée à l’extérieur, « sur ordre » et « en prévision de l’Euro ». Ce dernier point est éclairci par une note de la ville qui interdit aux cafetiers et aux restaurateurs d’installer un écran sur leur terrasse.

Cette annonce met le feu aux poudres. Au point que le préfet de police des Bouches-du-Rhône se sent obligé de rappeler les prérogatives municipales. Il souligne ainsi dans un communiqué que l’instruction interministérielle du 22 février relative à la sécurité et à l’organisation des retransmissions sur grands écrans en dehors des fan-zones s’adresse aux communes du département. Elle ne concerne en aucun cas les bars, brasseries ou restaurants.

« Cette instruction préconise des retransmissions dans des espaces clos et contrôlés. (…) Il n’a été question à aucun moment de recommandations du préfet de police visant à interdire les écrans géants ou les comptoirs sur les terrasses ».

Toutefois, et au cas par cas, précise la préfecture, le préfet de police se réserve la possibilité, en lien avec la ville de Marseille, de réglementer les installations d’écrans ou d’extensions de terrasses de certains établissements, afin d’éviter par exemple des troubles à l’ordre public.

Face au tollé des restaurateurs et patrons de bars marseillais et à la mise au point de la préfecture, la Ville de Marseille a finalement reculé ce jeudi. Lors de l’inauguration de la fan-zone, Caroline Pozmentier, adjointe à la sécurité, a assuré que « rien n’est proscrit à l’heure où nous parlons. Nous souhaitons avant tout favoriser la fête et le dynamisme économique de la ville. »

« Sécurité »

Mais alors que la polémique s’éteignait à Marseille, pourquoi Thierry Braillard la relançait-il, à Paris ? Dans quelle mesure peut-on interdire d’installer un écran à un patron de bar ? Sur ce point, M. Braillard « laisse le ministère de l’intérieur reprendre la main ». Contacté, le porte-parole du ministère de l’intérieur, Pierre-Henry Brandet, n’avait toujours pas souhaité s’exprimer en début d’après-midi. Interdira, n’interdira pas…

En attendant, Thierry Braillard n’accepte pas d’être accusé de vouloir gâcher la fête. « Comprenez bien l’état d’esprit. Seul le lieu ouvert pose problème. Une ville peut très bien installer un écran géant dans un stade si elle le souhaite. L’essentiel est que ce soit un lieu fermé. En ce cas, la ville assure la sécurité à l’entrée. »

A Starsbourg, les supporters ont trouvé une solution en cas d’interdiction. Ils vont passer le pont de l’Europe, et se rendre à Kehl, en Allemagne, où les bars ont l’autorisation de diffuser les matchs sur leur terrasse.