Travailleurs du secteur agricole, à Abidjan (Côte d’Ivoire), le 12 mai 2016. | ISSOUF SANOGO / AFP

Les progrès réalisés dans la réduction de la pauvreté dans le monde au cours des dernières décennies risquent d’être mis à mal par la nouvelle détérioration économique dans plusieurs régions, notamment en Asie, et la pénurie d’emplois de qualité au niveau mondial. Le fait de travailler ne représente donc pas une garantie contre la pauvreté. Le salariat, fréquent dans les pays développés, n’est pas non plus un rempart : « plus de 80 % des travailleurs pauvres ont un emploi salarié. »

Tel est le nouveau constat de l’Organisation internationale du travail (OIT), dans son rapport « Emploi et question sociales dans le monde 2016 », présenté à Genève, mercredi 18 mai, à la veille de l’ouverture de la 105e Conférence internationale du travail. Cette dernière, qui se tient du 30 mai au 10 juin, réuniera les représentants des gouvernements, des employeurs et des travailleurs de 187 pays.

L’OIT, dans ses rapports, ne cesse d’alerter sur une nouvelle dégradation de la situation économique et sociale : plus d’un travailleur sur deux dans le monde n’est pas salarié, annonçait l’organisation internationale, il y a un an. Plus récemment, c’était l’augmentation du nombre de chômeurs, 200 millions au total en 2016, qui inquiétait l’agence des Nations unies.

Mettre l’accent sur la qualité des emplois

Pour son édition 2016, les experts de l’OIT ont choisi d’insister sur l’extrême difficulté à atteindre l’objectif d’éradication de la pauvreté. En septembre 2015, les Nations unies ont adopté le nouvel agenda de développement durable avec dix-sept buts dont le premier est de la faire disparaître d’ici à 2030. « Si nous prenons au sérieux ce programme de développement durable, si nous voulons mettre un terme au fléau de la pauvreté qui se transmet de génération en génération, alors nous devons mettre en l’accent sur la qualité des emplois dans tous les pays », estime Guy Ryder, le directeur général de l’organisation.

Comment alors ne pas compromettre les efforts déjà réalisés, qui ont permis entre 1990 et 2015 de réduire de moitié le taux de personnes vivant avec moins de 3,10 dollars par jour (2,75 euros) ? En 2016, estime l’OIT, près de deux milliards de personnes sont dans cette situation, ce qui représente quelque 36 % de la population totale des pays émergents et en développement. Au cours de la même période, l’extrême pauvreté – les personnes vivant avec moins de 1,25 dollar (0,9 euro) par jour – a fortement reculé aussi pour ne toucher, en 2012, que 15 % de la population de ces pays.

Selon les auteurs du rapport, près de dix mille milliards de dollars (8 900 milliards d’euros) seraient nécessaires pour éradiquer la pauvreté. « Cela représente quelque 600 milliards par an de transferts sociaux, de pensions et d’aides, ce qui n’est absolument pas réaliste, explique Raymond Torres, conseiller spécial de l’OIT sur les questions économiques et sociales et responsable du rapport. Il faut donc miser sur le travail et des emplois de qualité. »

Les politiques sociales ne sont pour autant pas à délaisser pour faire reculer la pauvreté. Les programmes ciblés, comme au Brésil ou au Chili, à destination des familles les plus démunies, ont porté leurs fruits. En Ethiopie, par exemple, le taux très élevé de pauvreté a diminué de 87 % en 1999 à 67,7 % en 2012. Des programmes de mise en place d’une protection sociale et de développement rural – la pauvreté se concentre dans le monde rural trop souvent délaissé dans les programmes d’aide – ont été mis en œuvre alors que le taux de croissance du PIB était de 6,3 % par an en moyenne sur cette période.

Les jeunes ont plus de risques d’être pauvres

Banderole "Génération précaire", lors d’une journée de mobilisation contre le projet de loi travail à Paris. Selon l’OIT, les jeunes sont plus victimes de la pauvreté que les personnes âgées. | Xavier POPY/REA

Dans le même temps, alors que l’Angola bénéficiait d’un taux de croissance moyen supérieur, 6,6 %, le recul de la pauvreté a été moindre dans ce pays, de 54,4 % en 1999 à 53,3 % en 2012. « Quand la croissance et l’activité économique repose sur un socle trop étroit, l’exploitation et l’exportation des matières premières, cela ne profite pas aux plus pauvres, explique Raymond Torres. Dans certains pays, la croissance économique a même exacerbé la pauvreté. »

Le rapport souligne la responsabilité des plus riches, pays comme individus, dans la perpétuation de la pauvreté. « Dans un monde où les ressources sont limitées, comme les retombées de la croissance profitent davantage aux riches, la marge de manœuvre pour réduire la pauvreté s’en trouve limitée », écrivent les auteurs du rapport. Cela ne s’arrange pas : dans les pays développés, les 1 % les plus riches accaparaient 10, 7 % du revenu total, en 2013, contre 9,6 % en 2000.

Autre tendance forte soulignée par l’OIT, les jeunes sont plus victimes de la pauvreté que les personnes âgées. En fait, le risque de tomber dans la pauvreté a augmenté pour les catégories d’âge inférieur à 24 ans, alors qu’il est resté stable pour les plus âgés. Ainsi, dans l’Union européenne, ce risque est passé, pour les 16-24 ans, de 20 % en 2005 à 23,8 % en 2014, alors qu’il est resté stable à 22 % pour les plus de 55 ans. « Le chômage est bien sûr en cause, mais il faut y voir la précarisation des emplois, et les niveaux très faibles des premiers salaires, nettement inférieurs à ce qu’ils étaient il y a vingt ans », avance Raymond Torres.

D’où le refrain lancinant de l’OIT qui ne cesse de plaider en faveur de l’emploi décent, dans les pays développés comme les autres, et de la lutte contre le travail informel dans les régions en développement.