A l’Electronic Entertainment Exposition (E3) de Los Angeles, trois des neuf jeux d’Ubisoft étaient produits en France : « Just Dance 2017 » (photo), et les ambitieux « Ghost Recon Wildlands » et « Steep ». | Ubisoft

Le jeu d’aventure lyonnais Disnohored 2 chez l’éditeur américain Bethesda, l’expérience narrative interactive Detroit chez le constructeur japonais Sony, le jeu gothique Vampyr chez l’éditeur français Focus, ou encore le jeu indépendant montpellierain Furi… Du 14 au 16 juin, à l’Electronic Entertainment Exposition (E3) de Los Angeles, le plus grand salon annuel du secteur, le jeu vidéo français a été à la fête.

Même le géant national du secteur, Ubisoft, souvent critiqué pour sa relative faible implantation en France, mettait en avant ses premières superproductions purement hexagonales, Ghost Recon Wildlands et Steep. Le Monde s’est entretenu avec Xavier Poix, son directeur des studios au niveau français.

On a l’impression qu’à cet E3, les jeux français sont à la fois plus nombreux mais aussi plus ambitieux en termes de budget. Est-ce le cas ?

Oui, tout à fait. Cette année, on l’attendait depuis longtemps en interne. Chez nous, la France a un ou deux jeux à chaque édition, elle représente cette fois plus de la moitié des titres présentés sur le stand d’Ubisoft [en réalité, un tiers], avec Ghost Recon Wildlands, Steep, et aussi Just Dance 2017.

Tom Clancy's Ghost Recon Wildlands Trailer: Cartel Cinematic – E3 2016 [US]
Durée : 02:41

Nous avons par ailleurs pris un virage, il y a trois ans, qui est de nous orienter vers des jeux en monde ouvert, massifs, de très grande taille, avec une importante distance d’affichage : Ghost Recon Wildlands, développé à Paris, et son petit frère technologique, Steep, à Annecy (Haute-Savoie). Au niveau budget, on a passé une étape. On est sur du 80 millions d’euros de budget de production pour le premier, un peu moins pour le second. Je crois que Ghost Recon Wildlands est le plus gros développement jamais réalisé en France.

Comment est venue la décision de mener un projet aussi pharaonique en France, alors qu’Ubisoft dispose de studios spécialisés dans les jeux à très grand budget au Québec ?

Ubisoft Annecy et Paris ont participé à Assassin’s Creed et Watch Dogs, mais ils n’étaient pas à la direction du projet. Le fait de passer « lead », de maîtriser l’ensemble de la création du jeu, c’est un virage que l’on a pris il y a trois ans. Il y avait déjà des créations françaises, les Rayman, les Just Dance, Red Steel, les Lapins crétins, des marques créées à 100 % en France. Il y a une excellence graphique, une qualité d’exécution, en France, sur ces métiers-là, qui font qu’on a pu créer ces nouveaux jeux ici.

Selon un discours commun dans l’industrie, la France a de nombreux talents, mais en raison des salaires, à projet similaire, il est plus intéressant de développer ailleurs. Ce n’est plus le cas ?

Ce n’est pas tant les coûts salariaux que les charges qui y sont associées qui créent des différences. Mais le gouvernement a pris conscience de l’importance du jeu vidéo avec des dispositifs comme le crédit d’impôt jeu vidéo et le crédit d’impôt recherche, que l’on utilise. Mais l’important pour nous ce ne sont pas tant les coûts salariaux que la réunion des différents talents pour faire aboutir ce genre de projets. S’ils sont réussis, ils peuvent être extrêmement rentables.

Quel sont le poids et l’importance exacte de ces aides fiscales dans le développement de ces jeux en France ?

Elles favorisent, elles existent, elles nous poussent à continuer à investir en France, car on sait que c’est un système qui marche.

Pourriez-vous donner un ordre de grandeur de ces aides ?

Elles ne dépendent pas de la taille du jeu que l’on développe. Cela dépend de nombreux critères. Mais les avantages que l’on peut recevoir représentent de l’ordre de 20 % du budget, pour des jeux qui sont officiellement soutenus par le crédit d’impôt.

Faites-vous revenir des développeurs en France ?

Tout à fait. En France, sur Ubisoft Montpellier, Annecy et Paris, il y a vingt-cinq nationalités différentes représentées. C’est un vrai brassage culturel et technologique, même si la grosse majorité des développeurs est française.

Comment les effectifs de ces studios français évoluent-ils ?

Ils ont triplé depuis dix ans. Nous sommes plus de 900 aujourd’hui : environ 500 à Paris, 250 à Montpellier et plus de 150 à Annecy. Ce triplement s’est fait de manière structurelle, à chaque fois que l’on a pu créer une marque, puis miser dessus, comme Les Lapins crétins, comme Just Dance, comme Rayman, ou que l’on se lance dans une nouvelle aventure technologique et créative, du type de ces jeux en mondes ouverts.

Steep Trailer: Announcement – E3 2016 [US]
Durée : 01:57

Si on regarde cette industrie dans son ensemble, on a l’impression que cela fait longtemps que l’on n’a plus vu autant de jeux vidéo français mis en avant au salon de Los Angeles.

Oui, c’est vrai. C’est la grande année du jeu vidéo français, chez nous comme chez les autres. Je pense que l’on est très fort pour mixer innovation technologique et créativité artistique. Les machines d’aujourd’hui permettent vraiment de valoriser toute l’expertise que l’on a dans ces domaines-là.

Il y avait pourtant un climat de sinistrose dans l’industrie française il y a encore quelques années, même si Ubisoft n’était pas touché. Que s’est-il passé ?

Je ne peux pas répondre pour les autres, mais pour nous, c’est l’aboutissement d’une véritable maturité dans nos marques – Les Lapins crétins, Just Dance – qui nous a permis de chercher à nous lancer dans d’autres domaines, à savoir la stratégie des mondes ouverts, qui avaient déjà été inaugurée par d’autres marques d’Ubisoft. On s’est engouffrés dans la brèche. Et ce n’est que le début.

Just Dance 2017 Trailer: Announcement - Official [US]
Durée : 01:24