En 1958, un jeune attaquant noir de 17 ans prit le monde de court avec des prouesses physiques et techniques insoupçonnées. Pelé était un inconnu lorsqu’il débarqua en Suède pour mener le Brésil au premier de ses cinq titres mondiaux. Aujourd’hui, la notoriété de l’adolescent serait déjà portée par des dizaines de compilations vidéos de ses dribbles et de ses buts les plus fous – sur une bande sonore odieuse, évidemment. Plus personne ne serait surpris. Plus rien ne nous échappe, pour peu que l’on prête attention. Si ce n’est pas YouTube, c’est Football Manager, la simulation d’entraîneur, qui nous dévoile en avant-première les futures pépites.

Par le passé, les grandes compétitions internationales étaient comme ces conventions high-tech où se confrontaient non seulement les nouvelles stars du jeu, mais aussi les innovations cultivées à l’abri des regards: le 4-2-4 brésilien de 1958, le 4-4-2 anglais de 1966 avec les ailiers reconvertis milieux... Elles étaient le principal point de contact avec le football d’ailleurs. On découvrait souvent ses adversaires lors de leur premier match dans la compétition.

Reflet des tendances du football de club

Désormais, la surmédiatisation du football dévoile tout par avance. La majorité des rencontres de préparation des vingt-quatre qualifiés pour l’Euro a été diffusée à la télévision et est disponible en streaming sur Internet. De nombreux guides dissèquent les effectifs, les caractéristiques des joueurs, les statistiques, les styles de jeu. Qui s’y intéresse suffisamment en amont connaît déjà les révélations potentielles et sait à peu près à quoi s’attendre sur le plan tactique.

La diversité sera minimale. La plupart des équipes seront disposées en 4-3-3 ou 4-2-3-1, systèmes majoritaires malgré le retour en force du 4-4-2 cette saison, dans le sillage des exploits de Leicester en Premier League et de l’Atlético Madrid en Ligue des champions. Le manque de temps de préparation des sélections (Didier Deschamps dispose de son groupe au complet depuis le 31 mai seulement) et les modifications fréquentes de leurs effectifs sous le coup des méformes, blessures et suspensions entravent la mise en place, sur le long terme, de mécanismes tactiques complexes.

Pour palier au manque d’automatismes, plusieurs sélections majeures s’appuient sur un socle issu d’un ou deux clubs, qui définissent généralement les inclinaisons choisies dans le jeu. Le Barça (Piqué, Alba, Bartra, Busquets, Iniesta), donc, pour une Espagne encore très orientée possession du ballon ; Tottenham (Rose, Walker, Dier, Alli, Kane) et Liverpool (Clyne, Henderson, Lallana, Milner, Sturridge) pour une Angleterre reconvertie au pressing ; le Bayern (Neuer, Boateng, Kimmich, Müller; Götze) pour une Allemagne empreinte des préceptes de Pep Guardiola ; la Juventus (Buffon, Barzagli, Bonucci, Chiellini, Sturaro, Zaza) pour une Italie dont la force principale sera l’organisation défensive. De fait, les rendez-vous internationaux ne sont plus faiseurs de mode et creusets d’idées nouvelles. Ils ne sont plus que le simple miroir des tendances développées dans les clubs.

Les sélectionneurs parent au plus pressé

« Le peu de temps de préparation disponible rend plus difficile l’acquisition des principes tactiques », écrit Christian Gourcuff en préface du livre Comment regarder un match de foot ? Il y a certes quelques exceptions, en premier lieu le Chili, vainqueur de la Copa América 2015, qui s’appuie sur des principes de jeu très clairs établis depuis le passage de Marcelo Bielsa à sa tête (2007-2011). « L’exemple de la sélection chilienne montre qu’un minimum d’investissement dans le temps permet de construire un style propre », poursuit Gourcuff. En Europe, le technicien breton ne voit que deux exemples d’identités de jeu bien marquées: « l’Espagne, sous influence barcelonaise, et à un degré moindre l’Allemagne », qui récolte aujourd’hui les fruits de son changement d’approche, initié au début des années 2000, vers un style plus technique et vif.

Mais pour le reste, les sélectionneurs parent souvent au plus pressé et se concentrent sur l’essentiel, généralement la construction d’une base défensive solide. « Il est plus aisé de conserver que d’acquérir », professait Clausewitz, théoricien de la guerre. Autrement dit, dans des termes plus footballistiques : il est plus confortable de défendre que d’attaquer. Surtout pour les sélections dont l’espoir offensif repose presque exclusivement sur les épaules de la seule star de l’équipe (Ibrahimovic pour les Suédois, Bale pour les Gallois, Hamsik pour les Slovaques, Rosicky pour les Tchèques, Lewandowski pour les Polonais, Shaqiri pour les Suisses...).

Le nouveau format de l’épreuve, à vingt-quatre équipes, n’incitera de toute façon pas les petites nations à la prise de risque, puisque les quatre places de meilleurs troisièmes, qualificatives pour les huitièmes de finale, se joueront probablement à la différence de but. Inutile, donc, de risquer une déculottée contre un gros en se découvrant à outrance. Trois 0-0 en phase de poules pourraient même suffire pour passer au tour suivant. Gare à l’ennui...