« Beaucoup ont parlé des lignes de séparation dans ce pays entre ceux d’en haut et ceux d’en bas, entre les jeunes et les plus âgés. Mais on peut aussi dire que nous sommes un même ensemble, que nous sommes deux moitiés qui sont aussi importantes l’une que l’autre, et qu’ensemble nous faisons cette belle Autriche », a déclaré, lundi 23 mai, Alexander Van der Bellen. | DIETER NAGL / AFP

L’Europe peut se rassurer, mais elle a eu très peur. Avec seulement 31 026 voix d’avance, Alexander Van der Bellen, le candidat soutenu par les Verts (Die Grünen) à la présidentielle autrichienne l’a emporté sur le fil (50,3 %), face à son adversaire d’extrême droite (FPÖ), Norbert Hofer (49,7 %).

  • Qu’est-ce que ce résultat traduit de la situation politique en Autriche ?

Cette campagne laisse un paysage politique autrichien bouleversé. Certes, le pays qui avait fait entrer le FPÖ de Jorg Haider au gouvernement dès 1999 commence à avoir une certaine tradition de cogestion avec l’extrême droite. Mais jamais le parti n’avait été en mesure de recueillir près d’un suffrage sur deux, comme lors de cette présidentielle.

En surfant sur le rejet des réfugiés et de la construction européenne, le FPÖ a profité à plein d’une actualité favorable. Le pays, à la longue tradition d’accueil, a enregistré 90 000 demandeurs d’asile en 2015, avant de brutalement fermer ses portes, au début de l’année, face au retournement de son opinion publique.

La question des migrants sera peut-être moins sensible d’ici 2018. Mais cela ne suffira probablement pas pour inverser la tendance : le scrutin a mis à nu une division de la société, dans une Autriche qui va globalement bien, mais dont une partie craint le futur.

« Aucune raison de crier victoire », titrait lundi le quotidien conservateur Die Presse à l’adresse de M. Van der Bellen, en rappelant qu’il n’aurait jamais obtenu la présidence s’il s’en était tenu au programme d’ouverture des frontières défendu par les Verts.

  • Le nouveau président peut-il rassembler les deux Autriche que ce scrutin a mises en évidence ?

Avec son style tout en retenue, le nouveau président, qui sera investi le 8 juillet, a tendu la main aux électeurs de Hofer, dans son premier discours, donné sur la pelouse impeccable d’un palais baroque viennois, au son d’une musique classique se voulant apaisante.

« Je vais essayer de gagner [leur] confiance car les bonnes solutions doivent être travaillées ensemble, a-t-il déclaré. Beaucoup ont parlé des lignes de séparation dans ce pays entre ceux d’en haut et ceux d’en bas, entre les jeunes et les plus âgés… Mais on peut aussi dire que nous sommes un même ensemble, que nous sommes deux moitiés qui sont aussi importantes l’une que l’autre, et qu’ensemble nous faisons cette belle Autriche. »

Cela suffira-t-il à convaincre les électeurs d’extrême droite de faire à nouveau confiance aux partis traditionnels ? « Nous avons compris la protestation », ont déclaré ensemble le chancelier social-démocrate Christian Kern et le vice-chancelier conservateur Reinhold Mitterlehner.

« C’est un signal positif, commente Alexandra Föderl-Schmid, la rédactrice en chef du quotidien libéral Der Standard. Soudain, beaucoup de choses paraissent possibles, alors qu’elles semblaient hors de portée il y a seulement quelques semaines. Surmonter les blocages dans le pays, faire passer des réformes. Van der Bellen devrait, si c’est nécessaire, agir comme une locomotive. Jusqu’à présent, on ne lui aurait pas forcément fait confiance pour endosser ce rôle. »

  • Quelles sont les stratégies et les programmes du nouveau président et du nouveau gouvernement ?

Les circonstances de la nomination du nouveau chancelier, M. Kern, pendant l’entre-deux-tours, incitent à douter d’un changement radical. Issu des élites proches du pouvoir, jamais élu mais simplement nommé par la grâce de ses contacts au sein du Parti social-démocrate (SPÖ), il n’a toujours pas expliqué comment il pensait se différencier de son prédécesseur, Werner Faymann.

Ce dernier a démissionné après l’échec du candidat social-démocrate, Rudolf Hundstorfer, un ancien ministre des affaires sociales, au premier tour de l’élection présidentielle.

M. Kern n’a pas tranché clairement la question des alliances avec le FPÖ – les deux partis gèrent ensemble le Burgenland –, alors qu’elles constituaient encore un tabou en Europe il y a quelques années. Cette incertitude empoisonne la vie interne du SPÖ, qui voit une partie de sa base électorale rejoindre l’extrême droite.

La peur de déclassement de cette base s’exprime par le rejet de l’immigration et de l’islam, comme partout en Europe, mais à une échelle inédite. Les partis politiques traditionnels autrichiens ne parviennent pas à y répondre. Ils ont laissé un boulevard au FPÖ, qui a joué la carte de la « dédiabolisation » avec succès.

Sur ces sujets, M. Van der Bellen, président le plus mal élu depuis 1951, n’a pas eu un mot lors de son discours de victoire lundi soir. Avec son programme de fervent proeuropéen, il a réussi à attirer sur son nom tous ceux qui craignaient de voir l’Autriche s’éloigner de l’UE.

  • La montée de l’extrême droite peut-elle être stoppée ?

La situation actuelle ouvre tous les possibles lors des prochaines élections législatives. Elles sont prévues en 2018 – sauf si la grande coalition entre les sociaux-démocrates et les conservateurs devait tomber avant cette date. La chancellerie constitue le véritable objectif du leader de l’extrême droite, Heinz-Christian Strache.

Norbert Hofer a remporté 58,1 % des voix en Carinthie, une région pourtant ruinée par Jörg Haider, l’ancien chef du FPÖ. Et ce sans rien renier de l’héritage des siens, bien au contraire.

Au second tour, il a capté un tiers des voix sociales-démocrates et la moitié des voix conservatrices chrétiennes avec un discours contre les élites viennoises et européennes. Il a même atteint un score incroyable de 59,6 % dans la circonscription de Braunau, où naquit Adolf Hitler, prouvant le peu de cas fait par l’électeur de cette région de son lourd passé national-socialiste.

« Les prochaines élections législatives seront dramatiques », a déjà prévenu Friedrich Cerha, le doyen des compositeurs autrichiens. A 90 ans, l’homme est connu pour son opposition à l’extrême droite.

Comme d’autres, il sait que le président du FPÖ, Heinz-Christian Strache, futur candidat à la chancellerie, sort renforcé de cette présidentielle. Et que l’Autriche, avec son système politique fatigué, n’a gagné dimanche qu’un sursis de quelques années.