« Les représentants du personnel », de Thomas Breda (Presses de Sciences Po, 9 euros, 120 pages).

Afficher à la fois l’un des taux de syndicalisation les plus bas et l’un des taux de couverture par la négociation parmi les plus élevés au monde, voilà un paradoxe bien français. Plus étonnant encore : alors qu’on déplore l’absence de dialogue social, on connaît peu ou mal les représentants du personnel.

C’est à eux que s’intéresse Thomas Breda, chargé de recherche au CNRS, dans son essai Les représentants du personnel. Quelles sont les motivations de ceux qu’on appelle communément les « RP » ? Quel est officiellement leur rôle ? Que négocient-ils ? Objectif : combler une « certaine carence de travaux sur les RP, trop souvent ignorés par les études statistiques au regard de leur poids réel ».

Les premiers chapitres du livre présentent les règles du dialogue social en entreprise en France et tentent de brosser un portrait plus juste des représentants du personnel. Le membre associé à la Paris School of Economics mobilise, « pour la première fois sans doute, l’ensemble des éléments statistiques disponibles à leur sujet en France », des caractéristiques sociodémographiques aux salaires en passant par les promotions, le travail au quotidien et la façon dont ils sont perçus par les employeurs et les autres salariés.

Le membre permanent de l’Institut des politiques publiques regrette que les « sources restent souvent lacunaires », et déplore le manque d’approfondissement concernant certaines questions. Notamment le thème de la discrimination antisyndicale, qu’il aborde dans le troisième chapitre de l’ouvrage : les RP font souvent l’objet de « descriptions stéréotypées, fondées sur quelques cas caricaturaux relatés ici et là ».

Comment améliorer le dialogue social

Mais les discriminations ne sont pas le seul problème affectant le bon fonctionnement du dialogue social en entreprise. Dans le chapitre 4, Thomas Breda aborde aussi la question des interactions avec l’employeur, vis-à-vis duquel les RP portent une double casquette : celle d’un subalterne en tant que salariés et celle d’égaux lors des négociations d’entreprise.

Si la loi interdit de traiter une salariée différemment du reste du personnel au motif qu’il appartiendrait aux instances représentatives, en pratique, il en va différemment, car « l’interaction avec une seule et même personne rend quasiment impossible la dissociation des deux contextes et des deux modes d’interaction, les affects liés à l’un venant se mêler aux affects liés à l‘autre ».

Ces interactions peuvent alors jouer sur la carrière des RP, sur la qualité du dialogue social en entreprise et sur la situation professionnelle des salariés représentés. L’auteur montre comment les règles de ce dialogue peuvent inciter certains employeurs à « discréditer rationnellement les RP, certains RP à ne pas effectuer le travail pour lequel ils sont mandatés, ou encore les salariés à se désintéresser totalement de l’action de leurs représentants ».

L’ouvrage se conclut par quelques propositions pour améliorer la qualité du dialogue social, comme protéger les représentants du personnel et valoriser leur carrière, donner aux salariés plus de contrôles sur les actions de leurs représentants, externaliser le financement du dialogue social en entreprise. Car pour l’instant, le cadre n’est pas réjouissant : malgré des dispositifs légaux très favorables à la présence des représentants du personnel en entreprise, nombre d’entre elles n’en ont pas, « simplement parce qu’aucun salarié n’est volontaire pour accéder à ces fonctions ».

Lorsqu’il y a des représentants, ils sont fréquemment discriminés par les employeurs, parfois achetés en échange de la paix sociale. Des constats en contraste avec les propositions récentes visant à alléger le droit du travail au profit de la négociation d’entreprise. Etant donné « l’état actuel du dialogue social, le droit du travail (et parfois les accords de branche) reste le principal pourvoyeur de garanties sociales pour les salariés ».

« Les représentants du personnel », de Thomas Breda (Presses de Sciences Po, 9 euros, 120 pages).