On est loin, bien loin des promesses enflammées annonçant, en 2011, la restitution illico à la Libye des avoirs placés à l’étranger par son dirigeant Mouammar Kadhafi. Cinq ans après la révolte populaire qui a balayé le long règne (1969-2011) de celui qui se faisait appeler le « Guide », aucun centime d’euro n’a pu être récupéré par les autorités libyennes. Et pourtant, ce n’est pas faute d’avoir tout essayé. La chasse aux biens placés pendant quarante-deux années par Kadhafi s’est révélée totalement infructueuse. Car ceux qui ont enbouché les trompettes pour promettre de les rendre peu après sa chute ont perdu, chemin faisant, leur enthousiasme. Quant aux pays africains, leur attitude semble avoir été plus cohérente : ils n’ont jamais rien promis et n’ont donc finalement rien rendu.

Sommes colossales en jeu

Sommés de justifier leur réticence à rendre à la Libye, qui en a tant besoin aujourd’hui, les biens cachés par Kadhafi, les Etats concernés invoquent la crainte qu’ils tombent entre des mauvaises mains, le pays n’étant pas encore stable. Derrière cet argument de bons sens pointent, en réalité, de nombreux autres énormes enjeux. Au premier rang desquels l’importance des sommes.

En l’absence de livres comptables précis, on estime entre 100 et 400 milliards de dollars (environ 90 à 360 milliards d’euros) les montants placés sous Kadhafi en Afrique du Sud, aux Etats-Unis, en Italie, en Suisse, en Grande-Bretagne. S’ajoutent à cela les biens immobiliers disséminés à travers le monde, parmi lesquels l’immeuble du 17e arrondissement de Paris qui abrite les locaux de la FNAC, des centaines de milliers d’hectares de terres agricoles le long du fleuve Niger, les hôtels du groupe Laico ou, plus insolite encore, la Villa Kadhafi à Tombouctou, au Mali, où le « Guide » venait passer la fête musulmane de Maaloud, correspondant à l’anniversaire de la naissance du prophète Mahomet.

Gardiens de lourds secrets

L’étendue des avoirs de la Libye placés par Kadhafi à l’étranger est sans doute infiniment bien plus importante qu’on ne le pense. Les archives du régime ne suffisent pas à percer l’opacité de la gestion de cette époque. Les investissements à l’étranger n’étaient en effet ni planifiés ni coordonnés. Ils se faisaient suivant la seule humeur du « Guide », tantôt dans un pays africain pour plaire à son dirigeant, tantôt dans un Etat occidental pour susciter sa sympathie.

Deux proches collaborateurs de Kadhafi actuellement réfugiés à l’étranger peuvent cependant donner la clé permettant de percer le mystère des avoirs libyens à l’étranger. Le premier d’entre eux, Moussa Koussa, a été patron des renseignements extérieurs et vit aujourd’hui dans le Golfe après avoir séjourné, de notoriété publique, à Londres. Il a emporté avec lui une partie des secrets du long règne de Mouammar Kadhafi et connaît bien la piste des biens libyens à l’étranger.

Mais le vrai gardien des lourds secrets des avoirs financiers et biens immobiliers de la Libye à l’étranger, c’est bien Béchir Salah. Ce Toubou – ethnie minoritaire en Libye – originaire du Sud libyen avait la haute main sur les principaux fonds souverains libyens, dont le principal d’entre eux, Libyan Investment Authority (LIA).

Tout puissant directeur de cabinet

Au titre de sa fonction de directeur de cabinet de Kadhafi, Béchir Salah « arrosait » avec des mallettes d’argent liquide dirigeants politiques, hommes de culture, acteurs de la société civile, lobbyistes et ordonnait les placements financiers à l’étranger autant que l’acquisition des biens immobiliers. Pour « services rendus à la nation », son exfiltration de Libye par la Tunisie avait été organisée en 2011 par le gouvernement français qui l’a accueilli à Paris avec un titre de séjour, avant de l’encourager à partir vers d’autres horizons avec ses lourds secrets.

Depuis son départ de la France pour échapper à la justice qui voulait l’interroger dans le cadre de l’enquête sur le financement présumé de la campagne de Nicolas Sarkozy par Mouammar Kadhafi, Béchir Salah coule des jours tranquilles en Afrique du Sud, première destination des placements de Kadhafi en Afrique. Ce n’est sans doute pas le président sud-africain Jacob Zuma ni même l’African National Congress (ANC) qui a été soutenu financièrement par la Libye dans sa lutte contre l’apartheid qui forcera l’ancien collaborateur de Kadhafi à parler.

En réalité, ce n’est pas tant le montant des avoirs libyens à l’étranger qui pose problème. Mais la collaboration effective des pays qui les abritent pour les récupérer. Les plus optimistes pensent désormais que seulement une petite partie de cet énorme trésor reviendra aux Libyens.

Seidik Abba, journaliste et écrivain, auteur d’Entretiens avec Boubakar Ba. Un Nigérien au destin exceptionnel (éd. L’Harmattan, 2015).