Martine Aubry, maire PS de Lille, lors des vœux, le 14 janvier. | FRANCOIS LO PRESTI / AFP

C’était le 11 juin. Martine Filleul fêtait sa première année passée à la tête de la fédération socialiste du Nord. Sur Twitter, la patronne du PS 59 proposait aux militants de construire l’avenir et d’enterrer une fois pour toutes la hache de guerre : « Ensemble, dans l’unité, préparons 2017 ! », lançait cette proche du ministre de la ville, Patrick Kanner. Mais l’unité entre les clans Kanner-Filleul et Aubry-Pargneaux – la maire de Lille soutenait le premier secrétaire sortant de la fédération 59 (2005-2015) –, ce n’est pas pour tout de suite.

Lundi 20 juin, des proches de Martine Aubry ont présenté à la presse Réussir 59, une émanation locale de Réussir, un mouvement lancé pendant l’été 2015 par les aubryistes et qui s’appuie sur la contribution de la maire de Lille au dernier congrès de Poitiers. A l’échelle nationale, on compte déjà une dizaine de Réussir départementaux, comme en Haute-Garonne, en Indre-et-Loire, dans l’Essonne, en Meurthe-et-Moselle ou encore dans les Bouches-du-Rhône.

« Notre sensibilité veut peser sur les débats qui animent la gauche, explique l’animateur de Réussir 59, Roger Vicot, maire de Lomme et secrétaire de la 1ère section socialiste du Nord (380 adhérents). Nous ne sommes pas une chapelle de plus ni une écurie présidentielle. On est dans une démarche positive, dirigée contre personne. » Comprenez, ni contre le gouvernement ni contre la direction actuelle de la fédération PS du Nord.

« Vous [les journalistes], vous pensez qu’il s’agit d’une écurie derrière Martine Aubry mais il faut sortir de ce schéma », insiste M. Vicot

D’ailleurs, Martine Aubry « inspiratrice » de ce mouvement, ne s’affiche pas dans l’équipe d’animation. L’élue préfère laisser les jeunes pousses sur le devant de la scène. « Vous [les journalistes], vous pensez qu’il s’agit d’une écurie derrière Martine Aubry mais il faut sortir de ce schéma et réfléchir ensemble à ce que doit être la gauche de demain », insiste M. Vicot.

« Etre concrets, simples »

Tous les secrétaires de sections réunis autour de lui l’assurent : pas question d’être dans l’affrontement entre socialistes, l’heure est venue de discuter avec les citoyens, de reposer des questions fondamentales au sein de la gauche. Le premier débat proposé aura lieu ce jeudi à Lille autour de Pascal Boniface, directeur de l’Institut de relations internationales et stratégiques. Il sera question de « géopolitique et de football », et cette rencontre est ouverte à tous, militants ou non. « On a tous le nez dans le guidon et on ne prend plus le temps de réfléchir, estime Sandrine Herbin, secrétaire de la section de Ferrière-la-Grande. Sans passéisme ni nostalgie, à nous d’engager les débats pour reconstruire la gauche. Le monde change, il nous faut changer avec lui. Réussir 59, c’est le pas de côté. »

Ces trentenaires et quadras du parti ont envie de faire de la politique autrement. « Ce n’est pas le PS qui doit disparaître, mais son mode de fonctionnement, lance Mehdi Massrour, secrétaire de la section de Roubaix. A nous d’être concrets, simples. Il y a toute une partie de la société qui n’est pas écoutée : ça a du sens de reconnecter les personnes au sens politique. »

« Ce n’est pas le moment de s’éparpiller »

Mais cette démarche ne convainc pas la première secrétaire du PS du Nord. « Tout ce qui se fait à côté ou en dehors du parti contribue à l’affaiblissement du parti et de la fédé, juge Martine Filleul. La situation est suffisamment grave pour que nous mettions toutes nos forces en commun. Ce n’est pas le moment de s’éparpiller. »

La conseillère générale du Nord, soutenue par Patrick Kanner et le député Bernard Roman, n’a pas réussi à renouer les liens entre tous les socialistes du Nord. Dans les couloirs de la fédération, certains lui reprochent de trop soutenir la politique de François Hollande et Manuel Valls. « Ça coince un peu quand on essaie de sortir de la ligne gouvernementale », reconnaît le jeune Adrien Lartisien, secrétaire de la puissante section d’Orchies (220 adhérents). « Or, on ne veut pas être dans le débat sclérosé, ajoute Sébastien Duhem, secrétaire de la section de Lille-Fives. Nous appartenons à la génération renouvelée du PS. On n’a pas envie de s’enfermer dans un système apparatchik dans lequel on ne se reconnaît plus. »

Martine Filleul se défend : « Chacun a le droit de s’exprimer. Mais on ne peut pas être en congrès permanent ! D’habitude, on entend l’expression des différents courants structurés dans les six mois qui précédent le congrès, pas deux ans avant. »

En attendant, les aubryistes ont décidé d’animer le débat à leur manière, via ce que certains appellent déjà « une fédération bis ». Une revanche ? En juillet 2015, un mois après avoir perdu son siège de patron du PS du Nord, Gilles Pargneaux s’exprimait dans les colonnes de La Voix du Nord : « Je souscris complètement à l’analyse selon laquelle les mauroyistes historiques ont tenté lors de ces neufs derniers mois de fermer la parenthèse Aubry à Lille ouverte en 1994. » L’heure est-elle venue de faire à nouveau entendre la voix de Martine Aubry ? « J’ai donné tous les signes du rassemblement et je vous avoue que je suis profondément surprise et déçue de voir que les forces de la division l’emportent », soupire Martine Filleul.