« La transaction pénale a finalement été retirée du projet de loi adopté en conseil des ministres le 30 mars, à la suite de réserves émises par le Conseil d’Etat » (Photo: Michel Sapin, le ministre de l’économie, le 26 février 2015). | HEINZ-PETER BADER / REUTERS

Par Bruno Quentin, avocat associé chez Gide Loyrette Nouel

Annoncée comme la mesure phare du projet de loi « relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique » (dite Sapin 2), la « transaction pénale » a finalement été retirée du projet de loi adopté en conseil des ministres le 30 mars, à la suite de réserves émises par le Conseil d’Etat.

Prudent politiquement, le ministre de l’économie a néanmoins indiqué qu’il verrait si les parlementaires veulent s’emparer du sujet. Le moment de vérité approche alors que le texte entame son parcours législatif.

Transposition d’un concept bien connu en droit américain

Présenté comme un outil efficace de lutte contre la corruption, cette transaction pénale a été conçue pour permettre de réprimer des faits de corruption commis par les entreprises, sans que celles-ci soient reconnues coupables. Ce mécanisme prévoit en effet qu’en contrepartie d’une absence de poursuites, les entreprises devront accepter de payer une somme potentiellement importante (jusqu’à 30 % de leur chiffre d’affaires), de mettre en place un programme de conformité de nature à prévenir la réitération de tels faits, et de se soumettre pendant trois ans à un contrôle de l’agence nationale de prévention et de détection de la corruption.

Cet objet juridique non identifié, dénommé « convention de compensation d’intérêt public » n’est pas le fruit d’une imagination débridée, mais plus prosaïquement la transposition en droit français d’un concept bien connu en droit américain et adopté récemment par plusieurs pays – notamment le Royaume Uni en 2013 –, le Deferred Prosecution Agreement [DPA - accord de poursuite différée].

Ce nouveau mécanisme heurte les gardiens du temple de notre droit répressif, puisqu’en droit français, toute sanction trouve nécessairement sa source dans une déclaration ou une reconnaissance de culpabilité.

Les contempteurs de ce système ne sont d’ailleurs pas en manque d’arguments en soutenant que ce mécanisme crée une double rupture d’égalité de traitement et qu’il ne passera pas le filtre du Conseil constitutionnel. Ils soutiennent en effet que cette procédure particulière revient à traiter différemment les entreprises – personnes morales – et les personnes physiques, puisque ces dernières sont exclues du champ d’application de cette forme de transaction pénale. Ils ne manquent pas également de souligner qu’il n’existe pas de justification objective au fait de réserver cette forme de transaction aux seuls faits de corruption.

Procès-fleuve

C’est d’ailleurs en partie le raisonnement qu’a suivi le Conseil d’Etat, en soulignant qu’une procédure transactionnelle ne pouvait être prévue par la loi que dans les cas où les inconvénients qu’elle comporte, pour les victimes et pour la société, n’apparaissent pas disproportionnés au regard de l’intérêt que sa mise en œuvre présente pour une bonne administration de la justice.

Mais au-delà de ces débats de principe, il faut bien analyser les raisons qui ont pu conduire récemment certaines entreprises françaises, à accepter de tels accords avec les autorités américaines et à militer aujourd’hui pour que ce mécanisme soit transposé en France.

Il en existe au moins deux.

La première est incontestable et universelle. Une transaction pénale permet d’éviter une longue procédure qui se termine nécessairement des années après les faits, souvent par un procès-fleuve et toujours par une couverture médiatique gravement préjudiciable à l’image de l’entreprise.

Dans ces conditions, passer un accord, même beaucoup plus coûteux que la peine d’amende encourue, constituera quasiment toujours un moindre mal d’autant qu’il permettra d’échapper à l’opprobre d’une culpabilité pénale.

Marché de dupes

La seconde raison est moins évidente et pourrait s’avérer, à terme, un marché de dupes.

Les acteurs économiques français favorables à cette transaction pénale espèrent en effet qu’en cas de compétence concurrente des Etats-Unis et de la France – et l’on sait à quel point les Etats-Unis ont une vision extensive de leur compétence extraterritoriale –, le fait que la justice française puisse s’en saisir évitera des poursuites simultanées outre-Atlantique. Rien n’est moins sûr.

La convention OCDE de 1997, à l’origine de la répression de la corruption d’agents publics étrangers, prévoyait certes qu’en cas de compétence concurrente pour des mêmes faits de corruption, les Etats doivent se coordonner pour éviter une double poursuite.

Cette déclaration de principe n’apporte toutefois aucune sécurité juridique, et il est donc à craindre qu’en pareille circonstance, la justice américaine continue de considérer – quelles que soient les initiatives de la justice française – qu’elle seule réprime véritablement et efficacement la corruption, surtout quand celle-ci concerne des concurrents étrangers d’entreprises américaines. Le risque de devoir faire face à une double procédure de transaction pénale – en France et aux Etats-Unis – est donc bien loin d’être écarté.

Le réalisme impose ainsi de constater que le débat est désormais moins juridique qu’économique et politique, et que l’anglo-saxonisation de notre droit pénal traduit un changement progressif de nature de celui-ci : s’écartant d’une logique purement « sanctionnatrice », il devient progressivement non seulement un instrument de régulation économique (les faits de corruption ne devant pas donner un avantage concurrentiel) mais aussi un vecteur d’expression de la puissance diplomatique.