Manifestation de l’ONG AVAAZ contre le glyphosate à Bruxelles, 18 mai 2016 (Olivier Matthys/AP Images for Avaaz) | Olivier Matthys / Olivier Matthys/AP Images for Avaaz

La Commission européenne a annoncé, mercredi 1er juin en conférence de presse, qu’elle proposerait une réautorisation provisoire du glyphosate en Europe, pour dix-huit mois. Le temps pour l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA) de se prononcer sur les dangers du produit. Principe actif du célèbre Roundup de Monsanto, l’herbicide est au cœur d’une polémique qui dure depuis plus d’un an et dont l’exécutif européen ne semble pouvoir se dépêtrer qu’en remettant une décision ferme à plus tard. Car le temps presse : l’autorisation du glyphosate sur le sol européen expire à la fin du mois de juin.

Le 8 mars, la Commission avait proposé une réautorisation de 15 ans du glyphosate, mais le vote en comité permanent des Etats membres ne s’était pas tenu, faute de majorité qualifiée. La version de travail d’une nouvelle proposition, limitée à 10 ans celle-ci, a immédiatement commencé à circuler. Légèrement à la baisse, elle n’a pas empêché un nouveau camouflet. Le 19 mai, Bruxelles avançait une ré-homologation de 9 ans mais, là encore, aucune majorité qualifiée n’a été trouvée, la Suède, la France, les Pays-Bas et même l’Allemagne, n’étant pas disposés à voter favorablement.

La proposition d’autorisation provisoire du glyphosate votée par les Etats-membres lundi 6 juin, en Comité permanent des végétaux des animaux des denrées alimentaires et de l’alimentation animale. Mais si Bruxelles assure avoir rassemblé une majorité d’Etats-membre autour de sa dernière proposition, rien n’est encore certain sur l’issue du vote, une majorité qualifiée étant nécessaire… A défaut, un comité d’appel sera réuni dans les jours suivants. Mais l’affaire semble suffisamment incertaine pour que Vytenis Andriukaitis, le commissaire européen à la santé, rappelle que les Etats membres peuvent s’ils le souhaitent interdire ou restreindre sur leur territoire, l’utilisation d’un produit phytosanitaire autorisé au niveau européen… au risque, cependant, d’introduire une distorsion de concurrence entre agriculteurs européens.

Sur ce dossier théoriquement technique, mais devenu explosif, Bruxelles n’a cessé de subir la valse hésitation des Etats-membres. Le Parlement européen s’est aussi invité dans la controverse en votant, le 13 avril, une résolution non contraignante, demandant un renouvellement de la molécule-miracle limité à sept ans, et assorti d’importantes restrictions d’usage. En février, c’était le médiateur européen qui critiquait vertement la manière dont Bruxelles autorise certains pesticides à la mise sur le marché, malgré l’absence de certaines données scientifiques requises par la réglementation… Et deux mois auparavant, en décembre 2015, c’était la Cour de justice de l’Union européenne qui condamnait l’exécutif européen pour avoir échoué à réglementer les pesticides perturbateurs endocriniens — capables d’interférer avec le système hormonal humain et d’avoir ainsi des effets délétères au-dessous des seuils réputés sûrs.

Champs de mines

La régulation des produits phytosanitaires en Europe est donc devenue, en quelques mois, un dangereux champ de mines. Pesticide emblématique — il est non seulement le plus utilisé au monde et le plus fréquemment retrouvé dans l’environnement — le glyphosate a commencé à cristalliser les crispations en mars 2015. Au beau milieu du processus européen de réévaluation des risques présentés par la substance, le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) — l’agence de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) chargée d’inventorier et de classer les agents cancérogènes — classait le produit comme « cancérogène probable » pour les humains.

Ce pavé jeté dans la mare par le CIRC a jeté le discrédit sur le processus d’expertise européen, conduit par l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA). En novembre 2015, celle-ci concluait en effet à l’inverse du CIRC, au caractère « improbable » de la cancérogénicité du glyphosate, s’attirant cette fois les foudres d’une part de la communauté scientifique. Une centaine de scientifiques du monde académique publiaient le 3 mars un article au vitriol sur l’expertise européenne reprochant à celle-ci une variété de manquements : confiance accordée aux études confidentielles de l’industrie supérieure à celle accordée aux études académiques publiées dans la littérature scientifique, non-application de certains principes de la toxicologie, etc.

S’en est suivi un échange de correspondance acrimonieux entre Bernhard Url, le directeur exécutif de l’EFSA, et Christopher Wild, le patron du CIRC. Si acrimonieux que les ponts sont aujourd’hui quasiment rompus entre les deux agences – un fait inédit dans l’histoire récente de l’expertise scientifique. Au CIRC, on fait valoir que la réponse de l’EFSA contiendrait des faits erronés et des inexactitudes et on fait savoir que la poursuite des discussions est suspendue à leur rectification…

Conflits d’intérêts des experts

La controverse scientifique ne s’est pas limitée à la bataille entre l’EFSA et le CIRC. Nouveau rebondissement le 16 mai avec l’annonce de nouveaux résultats d’expertise : selon le Joint Meeting on Pesticides Residues (JMPR), un groupe d’expert commun à l’OMS et à l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), le glyphosate ne présenterait pas de risques cancérogènes pour la population, « aux niveaux attendus d’exposition par l’alimentation »… Las ! Les organisations non gouvernementales montent immédiatement au créneau, dénonçant des conflits d’intérêts au sein du JMPR. De fait, ce dernier était présidé et coprésidé par deux toxicologues par ailleurs consultants pour l’International Life Science Institute (ILSI), une organisation de lobby scientifique notamment financée par des sociétés agrochimiques commercialisant du glyphosate…

Tout au long de cette saga, la société civile n’est pas demeurée en reste. Profitant de la discorde entre experts, les organisations non gouvernementales n’ont pas chômé. Sondages montrant l’opposition d’une grande part de la population européenne à la réautorisation du glyphosate (près des deux tiers, selon une enquête réalisée mi-avril par l’institut de sondage YouGov), analyses d’urines montrant l’exposition de l’ensemble de la population au glyphosate, etc. Des plaintes ont même été déposées à Paris, Berlin et Vienne, à l’encontre des experts européens, accusant ces derniers de tromperie et de mise en danger de la vie d’autrui…

En accordant une autorisation provisoire de 18 mois, attendant pour prendre une position ferme l’avis d’une nouvelle agence d’experts – l’ECHA, notamment chargée du règlement européen REACH –, la Commission temporise pour laisser la pression retomber. Une pression considérable pèse donc sur l’ECHA, d’autant plus que l’Agence américaine de protection de l’environnement (EPA) est, elle aussi, actuellement en train de réévaluer le glyphosate, dont les agrochimistes assurent qu’il est aujourd’hui l’herbicide le moins problématique pour la santé et l’environnement. L’avenir de la molécule-miracle, emblème controversé du modèle agricole dominant, se joue dans les prochains mois.

Le glyphosate, un Léviathan de l’industrie phytosanitaire

Le glyphosate, c’est le Léviathan de l’industrie phytosanitaire. Loin de se ­réduire au seul Roundup – le produit phare de Monsanto –, il entre dans la composition de près de 750 produits, commercialisés par plus de 90 fabricants, répartis dans une vingtaine de pays… La production mondiale est montée en flèche ces dernières années un peu partout dans le monde, tirée vers le haut par l’adoption rapide des maïs et autres sojas transgéniques « Roundup ready ». De 600 000 tonnes en 2008, la production…