D., âgée de 15 ans, a été victime de trafic sexuel à Djakarta, en Indonésie, avant de s’échapper de la discothèque où elle était retenue et de retourner auprès de sa famille, à Bongor. | ECPAT

Les enfants sont de plus en plus victimes d’exploitation sexuelle et le phénomène a augmenté partout dans le monde. C’est l’enseignement principal de l’étude publiée, jeudi 12 mai, par l’ONG Ecpat International, qui lutte contre l’exploitation des enfants. A l’issue d’une enquête de deux ans, qui a impliqué plus de 70 organisations non gouvernementales et des acteurs des secteurs public et privé, le rapport de 150 pages offre un nouvel éclairage sur le touriste sexuel et va à l’encontre de certaines idées reçues : celui-ci n’est plus nécessairement un Occidental fortuné, mais plutôt un habitant de la région.

Ancienne rapporteuse spéciale de la Commission des droits de l’homme des Nations unies sur la vente d’enfants, la prostitution d’enfants et la pornographie mettant en scène des enfants, Najat Maalla M’jid, qui a dirigé ces recherches, revient pour Le Monde sur l’évolution de ce fléau.

Votre étude casse certains clichés et montre qu’aujourd’hui la majorité des pédosexuels en Asie du Sud-Est sont des voyageurs locaux, nationaux ou régionaux. Pourquoi ce renversement ?

Deux évolutions majeures peuvent expliquer cette tendance : l’augmentation des trajets aériens – en vingt ans les arrivées sont passées de 527 millions à 1 135 millions par an – et l’importance prise par Internet, qui reste un espace d’impunité. Mais la majorité de ces pédosexuels locaux sont des délinquants « situationnels », c’est-à-dire qu’ils passeront à l’acte soit parce que l’occasion se présente, soit parce qu’ils ressentent un sentiment d’impunité.

Vous évoquez également la manière dont le « volontourisme », qui consiste à s’engager dans des actions humanitaires ou de charité pendant ses vacances, est utilisé par certains pédophiles. Est-ce un phénomène marginal ?

Le « volontourisme » connaît une demande accrue et un essor considérable. En 2014, il aurait rapporté 2,6 milliards de dollars. Sous couvert du statut de travailleurs volontaires, ils ont un « accès » facile aux enfants bénéficiant des activités ou vivant dans des structures d’accueil. Lors des entretiens que nous avons menés, des délinquants sexuels ont souligné que le volontariat leur avait permis d’abuser des enfants avec lesquels ils travaillaient. Durant la période 2006-2011, selon les chiffres de la police britannique, 7 % à 19 % des délinquants sexuels sont entrés en contact avec des enfants, grâce au travail qu’ils effectuaient auprès d’eux.

Vous expliquez également que le développement économique et commercial, notamment en Afrique, favorise l’exploitation sexuelle des enfants…

L’investissement étranger a contribué à augmenter la mobilité, avec une arrivée importante d’hommes seuls dans divers pays en voie de développement, notamment en Afrique. A titre d’exemple, l’investissement chinois sur le continent est passé de moins de 100 millions de dollars par an dans les années 1980 à 26 milliards fin 2013. Ces chantiers ont entraîné la création d’infrastructures, l’installation de services qui permettent aux travailleurs d’accéder aisément aux enfants. En Zambie, à titre d’exemple, le développement d’une industrie minière étrangère a conduit au développement de l’exploitation sexuelle des enfants, principalement par des employés et des contractuels.

Les droits de l’enfant sont peu ou pas appliqués malgré la ratification de conventions. Où en est la coopération entre les Etats ?

Certaines législations nationales restent encore insuffisantes, car elles ne définissent pas clairement toutes les formes d’exploitation sexuelle des enfants. Il manque également une compétence extraterritoriale à l’égard de ces infractions d’exploitation. Mais, ce qui est à souligner, c’est l’insuffisance d’application effective des législations en raison de la difficulté pour les enfants d’accéder aux services de police et de justice. On relève également une faiblesse dans les échanges d’informations. Par ailleurs, la crainte de stigmatisation, les tabous qui entourent la sexualité dans certaines régions du monde entravent les plaintes. Par conséquent, les arrangements à l’amiable qui ont souvent lieu au niveau communautaire se font au détriment de l’intérêt de l’enfant, dont la voix reste très peu prise en compte.