File d’attente à la station service parisienne du quai de la Rapée, le 24 mai. | JULIEN MUGUET /HANS LUCAS POUR LE MONDE

« Si ça continue, le mouvement social et la pénurie d’essence vont nous mettre par terre », s’inquiète Christine Jaouen, directrice générale d’une PME bretonne de soixante salariés, spécialisée dans le transport de containers en Normandie, Bretagne et Pays de la Loire.
Depuis une semaine, son entreprise, qui compte une flotte d’une cinquantaine de camions, a enregistré une baisse de 25 % de son chiffre d’affaires de mai par rapport à l’année dernière. En cause, bien sûr, les difficultés d’approvisionnement en gazole : « Nous dépendons à 75 % des livraisons de Total, mais ils n’arrivent plus à nous livrer. Pour le reste, on s’approvisionne dans les stations-service AS24, dédiées aux professionnels du transport, mais elles sont presque toutes à sec dans la région ! »

La crainte du chômage partiel

Les camions n’ont d’autre choix que de se rabattre sur les stations-service traditionnelles où ils font face aux restrictions imposées par les pompistes. « Hier, un chauffeur n’a pu retirer que 40 litres sur une station, alors que le réservoir contient 1 000 litres… » déplore Christine Jaouen.

Au-delà des difficultés d’approvisionnement en carburant, l’entreprise fait aussi face au blocage des grands ports marchands, principaux partenaires de son activité. « Les bateaux qui arrivent normalement dans le port du Havre sont déroutés vers Anvers ou Rotterdam », précise la directrice de PME, qui craint de devoir mettre ses routiers au chômage partiel.

Le secteur du transport touristique n’est pas épargné non plus. Pour certaines entreprises comme Fouché Travel, basée entre Nantes et Angers, la pénurie n’est pas un problème sur les voyages de courte distance. « On a la chance d’avoir une cuve de réserve qui nous assure trois semaines d’autonomie », explique Olivier Fouché, PDG de l’entreprise d’une vingtaine de salariés.

Pour les trajets plus longs en revanche, les cars de la compagnie sont souvent contraints de faire le plein à l’étranger, « ce qui représente un surcoût car, si la TVA est remboursée aux transporteurs en France, c’est plus compliqué à l’étranger », précise M. Fouché. Sans compter que les prix à la pompe dans des pays comme le Royaume-Uni ou l’Italie sont plus élevés.

Si la situation est particulièrement tendue dans le grand Ouest, elle commence à préoccuper les professionnels du secteur routier en Ile-de-France. A la sortie d’une réunion avec le ministère des transports, Gilles Mathelié-Guinlet, secrétaire général de l’organisation des TPE et PME du transport routier (OTRE), s’inquiète d’une pénurie qui touche particulièrement les petites entreprises. Car les petits transporteurs, qui disposent rarement de cuves de stockage, doivent faire le tour des stations-service pour trouver du carburant. « Certains passent plus de temps à s’approvisionner qu’à travailler ! » souligne-t-il.

Livraison en Autolib

C’est aussi le cas de Sam Khelif, gérant de la petite savonnerie traditionnelle Soap France, basée à Limeil-Brévannes (Val-de-Marne), dont il assure le fonctionnement avec sa femme. Avec un prêt de 1 500 euros à rembourser par mois pour un chiffre d’affaires mensuel moyen de 4 500 euros, une journée d’inactivité peut s’avérer fatale pour sa savonnerie. Afin d’honorer ses livraisons auprès de magasins bio ou de pharmacies, Sam Khelif a dû se résoudre à laisser sa camionnette à la maison et à trouver un autre moyen de transport : « Il n’y a pas une station disponible à 15 kilomètres à la ronde ! J’ai donc loué une Autolib [voiture électrique en libre-service en région parisienne] pour faire mes livraisons, mais ça m’a coûté environ 30 euros, soit environ 10 % de la valeur marchande du stock livré… »

Autre secteur touché par la pénurie : les bâtiments et travaux publics (BTP). Dans les Bouches-du-Rhône, la journée de mercredi 25 mai a été particulièrement chaude. « Environ 35 % des camions-toupie transporteurs de béton prêt à l’emploi étaient dans l’incapacité de rouler, faute de carburant », explique Philippe Deveau, président de la fédération du BTP des Bouches-du-Rhône.

Un véritable casse-tête pour les professionnels du secteur, car « quand on commence à couler du béton et qu’on a une rupture dans l’approvisionnement, on est obligé de casser et de tout recommencer », précise Philippe Deveau.

Finalement, la situation s’est un peu améliorée dans la soirée avec l’aide de la préfecture : « Ils ont pu indiquer les lieux où on pouvait se ravitailler ce qui a permis de limiter les dégâts ». Jeudi, le pire a été évité, 10 % à 15 % des camions seulement sont restés au garage, mais très vite il a fallu penser à s’approvisionner pour le lendemain.