Les cages se succèdent et s’empilent à perte de vue. | L214

Les cages se succèdent et s’empilent à perte de vue. À l’intérieur, des poules se bousculent dans des espaces exigus et grillagés qui surplombent à peine des amas de fientes. Des asticots profilèrent au sol, des poux grouillent sur les œufs et les poules, et des cadavres en décomposition gisent au milieu des autres gallinacées, dont certaines en mauvaise santé.

Dans une nouvelle vidéo diffusée mercredi 25 mai, l’association de défense des animaux L214 révèle les conditions d’élevage « intolérables pour les animaux et inadmissibles du point de vue sanitaire » qui règnent au sein du Gaec du Perrat, une exploitation de 200 000 poules pondeuses située dans la commune de Chaleins (Ain). L’association s’apprête à déposer plainte devant le Tribunal de grande instance (TGI) de Bourg-en-Bresse et lance une pétition demandant aux autorités la « fermeture immédiate » de l’élevage industriel.

Vue aérienne de l'élevage de poules pondeuses du Gaec du Perrat. | L214

Les images ont été tournées le 27 avril dans les deux hangars qui accueillent près de 100 000 poules, soit une taille d’exploitation moyenne en France. Les oiseaux y sont enfermés 68 semaines durant, depuis l’âge de 18 semaines jusqu’à leur réforme, sans jamais voir la lumière du jour. Seule activité : pondre des œufs réceptionnés par un tapis mécanique. Le Gaec du Perrat, qui emploie 20 salariés, produit ainsi 160 000 œufs par jour. Selon l’enquête de L214, ils sont notamment vendus sous la marque Matines, dans au moins cinq enseignes de la grande distribution : Auchan, Carrefour, Casino, Intermarché et Super U.

« La vidéo révèle des infractions graves et répétées aux règles sanitaires et de bien-être des animaux », expose Sébastien Arsac, porte-parole de l’association L214. La directive européenne relative à la protection des poules pondeuses, adoptée en 1999 et entrée en vigueur en 2012, dispose ainsi que les gallinacées disposent d’un espace vital d’au moins 750 cm2 (en réalité à peine plus qu’une feuille A4), assorti d’un nid, d’un perchoir et d’une litière permettant le picotage et le grattage. Des aménagements absents au Gaec du Perrat, hormis des barres en fer.

Les conditions d’élevage des poules en batterie sont de longue date connues et dénoncées par les associations de bien-être animal. L214, à l’origine d’une dizaine d’enquêtes à ce sujet – au-delà de ses vidéos sur les abattoirs –, avait déjà publié des images de l’intérieur du Gaec du Perrat, en juin 2013. Mais elle avait dû en cesser la diffusion, à la suite d’une décision du TGI de Bourg-en-Bresse de juillet de la même année, avançant une « violation de la vie privée ».

Des poules déplumées ou en mauvaise santé. | L214

Nombreuses alertes

« Trois ans plus tard, la situation reste inchangée et les conditions d’élevage des poules sont toujours aussi misérables, dénonce Sébastien Arsac. Les défaillances perdurent malgré les nombreuses alertes de riverains, de salariés, des autorités sanitaires et de la direction départementale de la protection des populations. »

Deux arrêtés préfectoraux pris en mars 2015 et en janvier 2016 ont constaté des non-conformités et prescrit des mesures correctives concernant notamment la gestion des fientes et l’importante prolifération de mouches. L’élevage a également dû réduire son activité pendant quelques jours, sur injonction d’un troisième arrêté préfectoral, suite à des plaintes de riverains liées aux nuisances. L’arrêté a été levé le 4 avril.

« Certains travaux avaient pris du retard. Il s’agissait de mettre en place une ventilation dans le hangar à fientes, afin d’en améliorer le séchage », justifie Dominic Raphoz, cogérant du Gaec du Perrat, qui affirme avoir déboursé 4 millions d’euros pour rénover l’exploitation en 2012. « On travaille avec du vivant. On n’est donc pas à l’abri de nuisances, même si on fait tout pour les réduire, poursuit-il. Cela arrive dans tous les autres élevages du pays. »

Des cadavres gisent au fond des cages. | L214

15 milliards d’œufs produits en France

La France est le premier producteur européen d’œufs, avec 14,8 milliards d’unités en 2014, selon les données de la filière avicole (Itavi). 68 % des 47 millions de poules pondeuses sont aujourd’hui élevées en cage contre 25 % en bâtiments avec accès au plein air et 7 % au sol sans accès au plein air. Paris reste à la traîne de ses voisins européens, qui enregistrent une moyenne de 56 % d’élevages en batterie.

Pourtant, les consommateurs français étaient 90 % à se montrer favorables à l’interdiction des élevages en batterie, selon un sondage OpinionWay publié fin 2014. Mais les changements de pratique restent freinés par les différences de prix, la méconnaissance du code situé sur la coquille indiquant l’origine (s’il commence par 0, il s’agit d’élevage bio, par 1, de plein d’air, par 2, au sol, et par 3, en batterie), et les artifices des marques – comme Matines qui affiche « œufs frais » sur l’étiquette des œufs du Gaec du Perrat.

Surtout, seulement un tiers de la production d’œufs est vendue en coquille aux consommateurs. Le deuxième tiers est écoulé en restauration hors domicile tandis que le troisième est destiné à l’agroalimentaire (pâtes, pâtisseries, etc). À moins d’acheter des produits bio, qui bannissent les élevages en batterie, il s’avère alors quasi-impossible de tracer l’origine de l’œuf et de sa poule.