Les défaillances du contrôle qualité constatées dans les dossiers d’équipements fabriqués à l’usine Areva du Creusot (Saône-et-Loire) sont-elles en train de rattraper son premier client, EDF ? Le géant de l’électricité a annoncé l’arrêt, lundi 13 juin, du réacteur n° 2 de la centrale de Fessenheim (Haut-Rhin), appelée à fermer dans les toutes prochaines années.

Son générateur de vapeur, pièce essentielle de l’îlot nucléaire avec la cuve, fait en effet partie des 80 dossiers d’anomalies qui concernent le parc français, communiqués à l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN).

« Il n’y a eu aucune injonction de l’ASN, nous avons juste avancé de quelques jours un arrêt de maintenance et de rechargement de combustible programmé depuis longtemps, affirme un porte-parole d’EDF. Nous allons maintenant examiner cette pièce in situ, mais il n’y a pas d’inquiétude sur son intégrité, ni sur la sûreté des installations. »

Cet arrêt, même programmé, confortera ceux qui militent pour la fermeture rapide de cette centrale mise en service en 1977-1978, la plus vieille du parc d’EDF. Ses dirigeants rechignent à enclencher la procédure, malgré la pression du gouvernement, tant que l’Etat n’aura pas proposé ce qu’ils considèrent comme une juste indemnisation pour la perte de production – et donc de recettes – subie.

Chantier pharaonique

Si la ministre de l’environnement et de l’énergie propose 80 millions à 100 millions d’euros, EDF réclame une indemnisation… vingt fois supérieure au moins. Ségolène Royal a réaffirmé, jeudi 16 juin, que le calendrier doit « être tenu » et le processus de fermeture lancé dès cette année. En application de la loi de transition énergétique, Fessenheim fermera au moment de la mise en service du réacteur EPR de Flamanville (Manche) prévue fin 2018, ce qui maintiendra ainsi la capacité nucléaire à son niveau actuel (63,2 gigawatts).

L’arrêt, pour plusieurs semaines, d’une partie de la centrale alsacienne est le dernier épisode d’un feuilleton qui trouvera son épilogue une fois que l’ASN, gendarme de la filière, aura tranché la question : les pièces fabriquées à Creusot Forge sont-elles sûres ou non ? Pierre-Franck Chevet, patron de l’ASN, juge que les irrégularités découvertes au Creusot relèvent « clairement de pratiques industrielles inacceptables ».

L’enjeu est crucial, puisque cet audit porte sur des éléments essentiels : les cuves, les générateurs de vapeur ou la tuyauterie du circuit primaire dans la partie nucléaire. L’ASN n’exclut pas la découverte de « nouvelles irrégularités » au cours de l’audit de Creusot Forge, lancé par Areva en mai 2015.

« Graves défauts »

EDF affirme que les irrégularités constatées sur 79 des 80 dossiers « n’ont pas de conséquence sur la sûreté » des 21 réacteurs (sur un total de 58) concernés par les anomalies et répartis dans 12 des 19 centrales de l’Hexagone : Le Blayais, Bugey, Cattenom, Chinon, Civaux, Dampierre, Fessenheim, Golfech, Gravelines, Paluel, Saint-Laurent-des-Eaux et Le Tricastin. En revanche, il est avéré que la cuve de l’EPR de Flamanville a de « graves défauts », selon l’ASN. Elle ne dira qu’au premier semestre 2017 s’ils peuvent être corrigés ou s’il faut forger une nouvelle cuve. C’est le seul élément, avec l’enceinte en béton, qu’on ne peut pas changer durant la durée d’exploitation d’une centrale.

Mais Areva vient de faire savoir au gendarme du nucléaire que d’autres pièces de ce réacteur de troisième génération, censé être le plus sûr du monde, n’ont pas subi les contrôles adéquats à Creusot Forge, faisant peser de nouvelles incertitudes sur ce chantier pharaonique dont le coût est pour l’heure estimé à 10,5 milliards d’euros, soit trois fois le devis initial. A l’ASN, on précise qu’on « ne dispose pas à ce stade d’élément sur leur nature et leurs conséquences ». Mais l’autorité avait déjà dû faire preuve de beaucoup d’obstination pour obtenir d’Areva des mesures et essais supplémentaires sur la cuve.

EDF affirme que les irrégularités constatées sur 79 des 80 dossiers « n’ont pas de conséquence sur la sûreté » des 21 réacteurs concernés

Autre sujet d’inquiétude, alors qu’Areva réalise plus de la moitié de son chiffre d’affaires hors de France : les irrégularités dans le contrôle de pièces vendues à ses clients étrangers. Le groupe nucléaire dit les avoir tous informés d’éventuelles défaillances. Elles entachent la réputation de la filière française, qui reste très bonne dans les milieux nucléaires, en dépit des déboires des chantiers de l’EPR en France et en Finlande. Un « comité d’experts » travaille avec les exploitants étrangers de centrales pour y détecter d’éventuels problèmes.

Selon Greenpeace, ces investigations concernent notamment des installations aux Etats-Unis, au Royaume-Uni, en Suède, en Espagne, en Suisse, en Chine et en Corée du Sud. L’organisation écologiste estime que les doutes sur la fiabilité des pièces sont suffisamment importants pour justifier la publication de la liste des pièces concernées, « ainsi que le détail des documents incriminés ».

Elle réclame surtout que les installations concernées soient « immédiatement stoppées », en France comme à l’étranger. « Il est impossible, aujourd’hui, de préjuger de bons résultats », indique-t-elle. Ces anomalies sont susceptibles de porter « une grave atteinte à la sûreté » et nécessitent « un contrôle indépendant et transparent ».