La politique de modération de Twitter est régulièrement épinglée. | LEON NEAL / AFP

« Oui, Monsieur le directeur général, vous laissez perdurer sans réagir une parole LGBTphobe d’ampleur sur Twitter. » Dans une lettre ouverte adressée au directeur général de Twitter France, Jean-Luc Romero-Michel et Jérôme Beaugé accusent l’entreprise d’« inaction » face aux messages homophobes publiés sur le réseau social. Le premier est président de l’association Elus locaux contre le sida et conseiller régional d’Ile-de-France, le second président de l’Inter-LGBT et organisateur de la marche des fiertés à Paris.

« Cette lettre, nous vous l’écrivons à titre personnel, précisent les deux signataires. Twitter est un formidable outil de communication, de transmission, d’information. Cela ne l’est plus à partir du moment où vous le laissez polluer, sans réagir, alors que vous connaissez la réalité des choses. »

Les deux auteurs de la lettre déplorent « le silence et le mutisme » du réseau social, malgré, assurent-ils, leurs nombreux signalements :

« Combien de fois nous vous avons alerté sur la réalité des LGBTphobies, que vous pouvez vous-même constater, sur Twitter ? Combien de fois nous vous avons transmis des injures et autres menaces de mort dont nous sommes victimes comme des milliers d’autres ? »

Un silence qu’ils jugent « méprisant » et « dangereux », rappelant que « l’homophobie tue », moins de dix jours après l’attaque meurtrière menée dans une boîte de nuit gay d’Orlando, en Floride. « Nous sommes en colère », martèlent-ils, menaçant de lancer un hashtag #TwitterIsHomophobic (« Twitter est homophobe ») dans le but de faire davantage pression sur le réseau social.

« Rien ne change »

« Cela fait longtemps qu’on les rencontre, qu’on leur envoie des e-mails auxquels ils répondent gentiment, et à chaque fois rien n’avance, rien ne change », explique Jean-Luc Romero-Michel au Monde. Ce dernier n’exclut pas, à terme, de lancer une « class action » contre le réseau social, si celui-ci n’améliore pas sa politique de modération.

Les règles d’utilisation de Twitter interdisent la « conduite haineuse » : « vous ne devez pas directement attaquer ni menacer d’autres personnes, ni inciter à la violence envers elles sur la base des critères suivants : race, origine ethnique, nationalité, orientation sexuelle, sexe, identité sexuelle, appartenance religieuse, âge, handicap ou maladie », peut-on lire sur le site de l’entreprise.

Mais comment repérer et filtrer efficacement ces contenus haineux, parmi les centaines de millions de tweets publiés chaque jour ? Tous les grands réseaux sociaux, confrontés à la même problématique, se basent sur les signalements de leurs utilisateurs. Une équipe spécifique est ensuite chargée de les examiner et d’agir en conséquence – en supprimant un contenu ou un compte si le message contrevient aux règles.

Twitter à la traîne

Néanmoins, de nombreux messages haineux restent longtemps, voire toujours en ligne, malgré leur signalement. Ce qui a récemment poussé trois associations françaises à assigner en justice Twitter, YouTube et Facebook pour non-respect de leurs obligations de modération légales, qui leur impose de supprimer dans un délai raisonnable les contenus interdits. SOS-Racisme, l’Union des étudiants juifs de France, mais aussi SOS-Homophobie avaient auparavant mené un « testing » sur ces trois plates-formes, et observé que seule une toute petite minorité des contenus haineux étaient supprimés.

Twitter avait été épinglé comme le plus mauvais élève des trois. C’est la raison pour laquelle les deux auteurs de la lettre s’en prennent uniquement à cette société : « Facebook et YouTube ont un temps de réaction parfois très long, explique Jean-Luc Romero-Michel, mais ils finissent par réagir. Twitter parfois ne réagit pas du tout, il se fiche des signalements ! »

Contactée par Le Monde, la direction de Twitter a refusé de commenter cette lettre ouverte. Elle renvoie vers différents contenus pour démontrer son engagement en faveur de la communauté LGBT et rappelle ses actions visant à combattre le harcèlement en ligne. Comme de nombreuses entreprises de la Silicon Valley, Twitter a, à plusieurs reprises, affiché son soutien à cette communauté, célébrant par exemple la légalisation du mariage gay dans l’ensemble des Etats-Unis, ou publiant des messages de soutien après la tuerie d’Orlando. « La compassion c’est bien, souligne Jean-Luc Romero-Michel. Mais la lutte contre l’homophobie, ça doit être au quotidien. »