Simon Kuper est anglais, mais habite en France depuis 2002. A la veille de l’ouverture, vendredi 10 juin, de l’Euro 2016, le chroniqueur sportif du Financial Times a jugé nécessaire de préparer ses lecteurs au choc de leur arrivée en terre inconnue. « En France, écrit-il, le client n’est pas le roi. C’est le producteur qui l’est. Les grèves sont l’un des moyens par lequel il défend sa dignité. Quand vous montez dans un taxi, un café ou un magasin, vous êtes à leur service. La croyance commune parmi les producteurs français est que le système de production est parfait… jusqu’à ce que les clients le dérèglent. »

Cette basse vengeance de la part de nos voisins britanniques, que Napoléon qualifiait déjà de « boutiquiers », est un grand classique des clichés abondamment répandus outre-Manche, mais dont chacun peut vérifier la pertinence dans la vie de tous les jours. Témoin, le débat qui a enflammé l’Assemblée nationale, jeudi 9 juin. On y discutait des qualifications nécessaires à l’exercice de coiffeur, de laveur de voiture ou de propriétaire d’onglerie. Intégrés dans le projet de loi Sapin 2, ces articles étaient défendus par le ministre de l’économie, Emmanuel Macron.

Une expérience en entreprise peut-elle valoir diplôme ?

A l’origine, des questions toutes bêtes : Pourquoi faut-il un diplôme professionnel pour être coiffeur et pas pour être restaurateur ? Pourquoi un laveur de voiture doit-il détenir un CAP de carrosserie ? Une expérience en entreprise peut-elle valoir diplôme ? Le sujet a passionné les élus, qui ont débattu deux heures durant sur la bonne formulation d’un seul article de la loi, celui justement qui fixe ces règles de qualification.

Attaqués de toutes parts par l’explosion du travail au noir et des plates-formes Internet, les millions d’artisans s’inquiètent à juste titre de l’avenir de leur métier et des nouvelles concurrences qui remettent en question jusqu’à leur existence même.

L’exemple de la révolte des taxis contre les VTC

La révolte des taxis contre les VTC en a offert récemment une illustration spectaculaire. De son côté, M. Macron fustige des barrières d’un autre âge, qui entravent les moins qualifiés et les plus fragiles, pour qui il est souvent plus facile de trouver un client que de décrocher un emploi. C’est ainsi que prospèrent les zones grises du travail au noir et de l’autoentrepreneur « multitâches ».

Les députés aussi ont un faible pour les producteurs. L’un d’entre eux a jugé bon d’évoquer son grand-père tailleur de pierre, comme on aime évoquer un aïeul agriculteur pour prouver « qu’on a les pieds sur terre ». Des producteurs bien organisés et influents face à la masse indistincte des consommateurs et des plus faibles, dépourvus de tout lobby pour les défendre. « L’intérêt général impose de penser à eux », a justifié le ministre, qui a dû, pourtant, en rabattre sur ses ambitions face à une assemblée favorable au maintien du statu quo. L’intérêt général aussi est une question de point de vue.