Explosion nucléaire dans l’atoll français de Mururoa, dans le Pacifique sud, en 1971. | AFP

Paul Quilès, l’ancien ministre de la défense socialiste (1985-1986) lors du premier mandat de François Mitterrand, lance aux côtés de Bernard Norlain, ancien chef du cabinet militaire des premiers ministres Jacques Chirac et Michel Rocard, et des experts nucléaires, Jean-Marie Collin et Michel Drain, « Initiatives pour le désarmement nucléaire » (IDN), dans le cadre de l’association Arrêtez la bombe !

Selon les acteurs de cette initiative, parrainée notamment par Nicolas Hulot, et présentée en fin de semaine dernière, le monde a changé, rendant caduques les stratégies du siècle dernier :

« Après avoir connu durant la guerre froide une certaine légitimité (d’ailleurs maintenant contestée), l’armement nucléaire a perdu aujourd’hui l’essentiel de sa pertinence stratégique. La dissuasion nucléaire est une sorte de ligne Maginot : un dispositif lourd, coûteux, qui ne correspond pas aux besoins de notre sécurité. Personne ne croit véritablement à l’utilité de l’armement nucléaire dans les conflits actuels (Moyen-Orient, Afrique, Ukraine…) ou pour combattre le terrorisme.
C’est l’existence même de ces armes qui représente un danger mortel pour l’humanité. Après la folle course aux armements qu’a connue le monde pendant quarante-cinq ans, il reste en effet environ 15 800 armes nucléaires dans le monde, sans aucun contrôle autre que national. Les risques d’accident ou d’incident ainsi que le terrorisme sous toutes ses formes constituent autant de risques d’une escalade nucléaire qui serait terriblement destructrice, instantanément et pour des siècles. »

Empêcher une nouvelle course aux armements

Deux ruptures stratégiques, notamment, appellent à modifier profondément la perception du fait nucléaire militaire : la montée des tensions entre la Russie et les pays occidentaux et les nouvelles menaces terroristes. Or, l’arme nucléaire n’a ici aucune pertinence, souligne IDN : « Elle n’a aucunement protégé du terrorisme planétaire », rappelle M. Quilès.

L’un des enjeux majeurs reste d’empêcher une nouvelle course aux armements nucléaires avec la Russie. A cela, on peut ajouter le risque de prolifération dans certains pays, le plus élevé concernant la Corée du Nord qui posséderait déjà une dizaine de bombes atomiques. Dans un monde – jadis bipolaire – où les centres de pouvoir se multiplient, le nucléaire ne peut être la seule clé de notre défense, ce n’est plus pertinent, souligne Bernard Norlain, ajoutant que l’éclatement stratégique crée une réelle instabilité.

La dissuasion est remise en question, alors que des doutes sont de plus en plus répandus sur l’efficacité dissuasive de la bombe atomique depuis 1945 (lire notre compte-rendu). « Tous les maux du XXIsiècle ne sont pas solubles dans le nucléaire », conclut M. Norlain.

Il est donc urgent d’agir pour que ces armes fassent l’objet d’un processus d’élimination générale, progressif et contrôlé. C’est ce que prévoit d’ailleurs le traité de non-prolifération (TNP), dont la France est signataire. Le désarmement ne peut être unilatéral, soulignent les promoteurs d’IDN ; il doit être multilatéral pour être efficace. Une telle action ne peut pas être seulement entreprise au niveau des gouvernements nationaux ; elle doit être aussi suscitée et soutenue par une majorité de citoyens. IDN veut donc rouvrir un débat qu’il juge verrouillé par le « lobby nucléaire » et donc de facto inexistant.

Exposition de photographies des bombardements atomiques américains à Hiroshima et à Nagasaki, les 6 et 9 août 1945. | Ahn Young-joon / AP

Déni de démocratie

IDN souhaiterait que la dissuasion nucléaire, elle-même, soit questionnée, notamment lors de la prochaine campagne présidentielle. L’enjeu est de taille : celui de la sécurité des Français. On assure qu’elle serait garantie par l’arme nucléaire. C’est une erreur ou une tromperie, identique à ce qu’était la ligne Maginot en 1939, assurent les promoteurs d’IDN. Clé de voûte de la défense française, la dissuasion nucléaire n’est que peu présente dans le débat public français où règne un consensus assez large des responsables politiques, militaires et industriels.

M. Quilès dénonce donc le faux consensus, « l’enfumage », qui règne sur le nucléaire et le déni de démocratie qui existe dans notre pays. Il donne un exemple récent : dans le documentaire La France, le président et la bombe, diffusé le 22 mars sur France 5, il est annoncé, pour la première fois et sans donner de détails précis, qu’en cas de défaillance du président de la République en temps de guerre, un « inconnu », une personne située en province et désignée par le président, dispose de l’arme nucléaire et des codes pour l’utiliser ! Cette situation est « scandaleuse » et un vrai « déni de la Constitution » qui prévoit dans son article 7 qu’en cas d’empêchement c’est le président du Sénat qui remplace le président de la République, souligne M. Quilès.

Risque d’affaiblir la défense conventionnelle

Ce dernier va interpeller le président François Hollande sur ce déni démocratique pour obtenir des clarifications. « Un monarque républicain a-t-il le droit de désigner une personne inconnue pour le feu nucléaire ? », s’inquiète Paul Quilès. Jean-Marie Collin dénonce, lui, le coût du programme militaire nucléaire qui doit passer à 6 milliards par an d’ici à 2017 (contre 3,2 milliards actuellement). Il y a un risque en consacrant trop d’argent au nucléaire d’affaiblir la défense conventionnelle, pourtant indispensable face aux menaces comme le terrorisme. Un risque de « perte de crédibilité » de la défense, selon M. Collin.

Dans cette démarche, IDN a le soutien de nombreuses personnalités. Ce sont des responsables politiques, d’anciens chefs d’Etat, des généraux qui ont eu à connaître de près le développement de l’arme nucléaire. Parmi eux figure le Russe Mikhaïl Gorbatchev, qui avait proposé en 1986 au président américain Ronald Reagan un désarmement nucléaire complet à l’échéance d’une quinzaine d’années, le Français Michel Rocard, l’Allemand Joschka Fischer ou encore l’Américain Henry Kissinger.

Cette démarche rejoint aussi celle du président américain, Barack Obama. Ce dernier se rendra à Hiroshima, au Japon, le 27 mai, sur le parc du mémorial de la paix, à l’endroit où fut larguée la bombe atomique par l’avion B-29 Enola Gay, le 6 août 1945. La Maison Blanche affirme que le but de cette visite est de « souligner l’engagement en faveur de la paix et de la sécurité dans un monde sans armes nucléaires ».