Valero Doval

Quelle sera la demande en eau potable du Grand Paris en 2025, et quelle taille prévoir aujourd’hui pour son réseau de canalisations ? Quelle conséquence aurait la construction d’un nouveau pont au-dessus du Rhône sur la mobilité du Grand Lyon ? Quel impact aura le projet de développement du nord-est de Hongkong, aujourd’hui agricole, sur le reste de la cité ? Tels sont les casse-tête sur lesquels se penche actuellement la start-up lyonnaise ForCity. Sa raison d’être est de procurer aux autorités ou aux entreprises concernées,toutes confrontées à des arbitrages compliqués engageant l’avenir, un étonnant outil numérique prospectif : il éclaire tel ou tel de leurs choix et permet d’entrevoir leurs répercussions sur des systèmes urbains de plus en plus complexes.

Voyager dans le temps

L’outil en question est une plate-forme interactive en 3D. Elle permet de zoomer sur un quartier et de modifier ses caractéristiques si l’on change un ou plusieurs paramètres. Qu’il s’agisse par exemple d’imaginer le quartier de la Part-Dieu, à Lyon, avec 650 000 mètres carrés supplémentaires de bureaux dans dix ans, en interdisant ou pas des immeubles de plus de dix étages, en aménageant ou pas des voies spécifiques pour le tramway ou des zones piétonnières. Une réglette permet de voyager dans le temps en fonction des scénarios et des données fournis par les clients de ForCity. Patrice Albaret, gestionnaire de projet embauché depuis janvier, après dix années passées à travailler au Québec, déplace le curseur : 2017, 2022, jusqu’à 2030… Sur le grand écran, le quartier change de visage.

Anticiper la ville de demain
Durée : 03:34

« Dans le monde numérique – dont je ne viens pas –, pouvoir ainsi modéliser les flux en matière de transport, d’eau, d’énergie ou de déchets est révolutionnaire », s’extasie de son côté Thomas Lagier, directeur général de ForCity, et docteur en chimie de l’environnement. « Sans compter que des capacités de calcul, inédites, restent inexploitées », ajoute ce « père » de neuf brevets. Or, plus les données sont accessibles et riches, plus les simulations de la plate-forme s’affinent.

Son comparse président, François Grosse, diplômé des Mines de Paris et polytechnicien, met l’accent sur un autre aspect de leur entreprise commune : la plate-forme peut être utilisée par un client ou par plusieurs, s’ils acceptent de collaborer sur un même projet au travers de l’outil. Amener les spécialistes de l’eau à travailler avec ceux des transports et de l’énergie ne coule pas de source. Le souhait de François Grosse est de permettre à tous les acteurs publics ou privés d’un territoire d’ouvrir aux autres leurs informations et leurs scénarios d’avenir. « Les amener à penser comment travailler ensemble », résume-t-il, pour mieux anticiper conjointement l’avenir des villes et prendre les meilleures décisions.

Cette volonté d’être utile, concrètement et technologiquement, a poussé les cofondateurs de ForCity à quitter, fin 2013, Veolia où ils travaillaient tous deux – depuis vingt ans pour François Grosse, qui en a dirigé des filiales en France et en Allemagne et conseillé les présidents ; depuis dix ans pour Thomas Lagier, dans la recherche et développement. Deux départs en bons termes. Pour preuve, Veolia a confié à ses ex-collaborateurs, en 2015, la réalisation d’une première maquette numérique destinée à Hongkong, pour la valorisation des déchets, le cycle de l’eau et la climatisation des bâtiments.

Un an plus tôt, la décision de la Métropole de Lyon de faire de la jeune pousse le mandataire du projet de modélisation du quartier de Gerland (MUG), en collaboration avec EDF, Veolia et CoSMo (autre start-up lyonnaise), a permis son décollage rapide. Le chiffre d’affaires de ForCity, de 1,2 million d’euros en 2014, a doublé l’année suivante ; de 2014 à aujourd’hui, ses effectifs sont passés de 2 à 55 personnes dont 20 à Rennes, chargées de l’élaboration des logiciels.

Mécanique des fluides

Dans ses locaux de Lyon, près de la gare de la Part-Dieu, de jeunes géomaticiens montent leurs vélos jusque dans leurs bureaux. Ils y côtoient des modélisatrices, des analystes de données et des développeurs informatiques concentrés, que « dérange » une ingénieure en génie mécanique. Les docteurs sont une dizaine, parmi lesquels un spécialiste en mascaret (onde de la marée montante sur les cours d’eau)et un autre en mécanique des fluides. « Des profils qui ont une hauteur de vue enrichissante pour la conceptualisation des modèles », assure le directeur technique, Frédéric Derkx. En matière de fluides, les spécialistes de la start-up travaillent aussi sur les plans de déplacement des salariés de la Seine-Saint-Denis, en vue de favoriser les mobilités dites « douces ». Et sur le « plan déchets » de Dubaï.

Pour le moment, les dirigeants de ForCity disent ne pas connaître de concurrentsà leur plate-forme numérique de modélisation urbaine, à laquelle ils abonnent leurs clients. Ils poursuivent en parallèle leurs publications scientifiques. Dans plusieurs d’entre elles, François Grosse démontre, avec force graphiques, que la gestion durable des matières premières est certes possible, à condition que le taux de croissance de leur production ne dépasse pas 1 % par an, étant entendu que leur recyclage est maximisé. Mais c’est une autre histoire. D’avenir aussi peut-être.