Documentaires sur Arte, mardi 21 juin, 22 h 30 - 23 h 40

Anne Poiret propose un documentaire sur ces « territoires » où l’ONU accueille 17 millions de personnes.

Camps de réfugiés, camps de déplacés, centres de rétention, jungle… les appellations ne manquent pas pour décrire le cadre collectif de situations humaines devenues cruciales. Selon le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) qui les gère, les camps accueillent 17 millions de personnes, même si l’institution onusienne estime à quelque 60 millions le nombre total de réfugiés. A l’occasion de la Journée mondiale des réfugiés, Arte consacre une soirée au sujet, et diffuse notamment Bienvenue au Réfugistan, un documentaire d’Anne Poiret qui explique, sans misérabilisme et avec une réelle qualité de filmage, l’implacable mécanique de ces territoires façonnés par les guerres, les dictatures ou les massacres.

Pris en charge par ce que le Britannique Alexander Betts, directeur du centre d’études sur les réfugiés à l’université d’Oxford (Grande-Bretagne) appelle la « pieuvre administrative », les réfugiés disposent, dans les camps, d’un statut distinct du commun des terriens : ils sont des « bénéficiaires », privés le plus souvent des droits fondamentaux au travail et à la libre circulation. « Le camp est un univers parallèle qui vous rend invisible au reste de l’humanité », souligne Michel Agier, ethnologue, directeur d’études à l’Ecole des hautes études en sciences sociales (EHESS). Un univers où les séjours sont en moyenne de… 17 ans. On y naît, on y grandit, on y meurt.

En Jordanie, au Kenya, en Grèce, mais aussi en Norvège, où les humanitaires se préparent à leurs missions, Anne Poiret a voyagé pour comprendre et décrire la réalité de cette « nation d’exilés », gouvernée par « le HCR Etat-providence », selon les termes d’Hélène Thiollet, chercheuse au Centre national de la recherche scientifique et à Sciences Po. La réalisatrice, prix Albert Londres 2007, recourt au vouvoiement pour expliquer les rouages de ce système. Si le documentaire démarre avec l’enregistrement puis la distribution des produits de première nécessité (savon, seau, couverture, casserole, serviettes hygiéniques…), on ne saura pas de quoi est fait le quotidien de ceux qui y sont soumis.

« Une prison à ciel ouvert »

Au Kenya, non loin de la frontière avec la Somalie, le site de Dadaab, créé il y a vingt-cinq ans, accueille 350 000 personnes. Les humanitaires l’appellent « le monstre ». C’est le plus vaste du monde. En raison de la dangerosité des lieux, ceux qui y travaillent sont séparés des réfugiés : chacun dans son camp. L’interaction entre les deux s’opère sous bonne escorte. A un responsable, un Somalien exprime son désir de retourner chez lui. En vain. Daddab est pour cet homme, présent depuis dix ans, « une prison à ciel ouvert » où les réfugiés se sentent « comme des incapables ».

Camp de réfugiés du HCR dans le documentaire d’Anne Poiret. | QUARK PRODUCTIONS

A Genève, au siège du HCR (9 milliards de dollars de budget annuel et 9 000 collaborateurs), une unité Innovation tente d’imaginer des modes de fonctionnement alternatifs. Ici encore, l’exercice semble vain. Le spectateur restera sur sa faim. Car, sur fond de cynisme politique, ces regroupements collectifs tant décriés font aussi le bonheur de ceux qui les accueillent. « Les camps sont devenus des outils de négociation pour les pays hôtes, indique Jeff Crisp, chercheur à l’université d’Oxford, et ancien fonctionnaire au HCR. Ils se servent des camps pour obtenir des subsides. Les camps durent parce qu’ils n’ont pas intérêt à ce que les conflits cessent. »

A Azraq, à 100 kilomètres d’Amman, en Jordanie, le HCR a mis en pratique l’expérience acquise au fil des années. Paradoxalement, les réfugiés refusent d’y aller. Le site, où cohabitent 30 000 personnes, est « sous-peuplé par rapport à ses capacités », souligne Alexander Betts. Il s’apparente à une cité industrielle, où des logements de type conteneurs, tous strictement identiques, s’alignent dans un ordonnancement d’une froideur sans pareille. L’aménagement d’un camp est comparable à celui d’une ville, dans sa forme la plus simple.

Le camp de réfugiés du HCR de Zaatari en Jordanie en 2014. | KHALIL MAZRAAWI/AFP

« Un marché »

Pourtant, « le nombre de camps et leur pérennité font que cela devient un marché, rappelle Michel Agier. Le réfugié est à la fois indésirable et consommateur. » A Azraq, où Ikea fait aussi du commerce, les réfugiés disposent d’une carte de paiement créditée au début de chaque mois. Un distributeur de billets mobile de la Cairo Amman Bank vient à eux. Ils pourront dépenser leur don dans un supermarché, monopole d’une société jordanienne. Alexander Betts ne tarit pas de critiques contre cette « réponse humanitaire imposée par le haut ». Michel Agier n’hésite pas à parler d’« une continuité postcoloniale. »

En deuxième partie de soirée, Arte propose Nansen, un document tout aussi instructif sur Fridtjof Nansen (1861-1930, prix Nobel de la paix en 1922), réalisé par Valentine Varela et Philippe Saada. Cet ancien explorateur norvégien fut, au lendemain de la Grande Guerre, un héros dans son pays pour être parvenu à arracher de Russie 600 000 de ses compatriotes. La Société des nations (SDN) lui confiera une mission identique au profit des Russes déchus de leur nationalité par Lénine, et des Arméniens en exil rescapés du génocide perpétré par le gouvernement turc en 1915. Ces hommes et ces femmes, « tombés du monde » comme disait l’écrivain Vladimir Nabokov, qui était lui-même apatride, trouveront, grâce à Nansen, un statut juridique. Et disposeront d’un passeport.

Bienvenue au Réfugistan, d’Anne Poiret (Fr., 2016, 71 min).

Nansen, de Valentine Varela et Philippe Saada (Fr., 2016, 55 min). Mardi 21 juin, sur Arte, à 22 h 30 et 23 h 40.