Par Paul-Adrien Hyppolite, normalien, étudiant-chercheur en économie à Harvard

A l’occasion de l’« anniversaire de l’Europe » commémorant la déclaration Schuman du 9 mai 1950, une partie de la classe politique a appelé au renouveau européen. Un projet précis pour une Europe à bout de souffle peine cependant à se distinguer. Réfléchir sur le plan économique aux causes de la crise permet de réaliser le chemin qu’il reste à parcourir.

Depuis six ans nous croyons que les réformes nécessaires pour corriger les déséquilibres ayant conduit à la crise doivent être nationales et non européennes.

Le fait que la crise se soit manifestée en Grèce, en Irlande, au Portugal, en Espagne puis dans une certaine mesure en Italie et en France à la suite d’un creusement de l’écart de compétitivité par rapport à l’Allemagne est interprété comme la preuve du caractère dysfonctionnel de ces économies. Un consensus s’est ainsi installé sur la nécessité de s’engager dans des « réformes structurelles » visant à libéraliser le marché du travail, des biens et des services.

Une crise de la dette extérieure

Au niveau européen, les décideurs politiques ont consacré leur énergie à la mise en place de mécanismes permettant de lutter contre – plus que de prévenir – la prochaine crise : mécanisme européen de stabilité, mécanisme de résolution unique, programme d’opérations monétaires sur titres, etc.

Or, la crise de la zone euro est une crise de la dette extérieure : les capitaux privés provenant des pays du cœur ont brusquement cessé d’affluer vers les pays de la périphérie lorsqu’il est apparu que les emprunts extérieurs avaient servi à financer des actifs surévalués en raison des bulles immobilières. En renforçant le boom d’activité des secteurs non marchands dans les pays débiteurs, les capitaux des pays créanciers ont entraîné une augmentation des prix et des salaires nuisible à la compétitivité des secteurs marchands.

Ainsi, le creusement de l’écart de compétitivité entre pays créanciers et débiteurs n’est pas la cause de la crise. C’est bien plutôt la conséquence de l’allocation inefficiente de l’excédent d’épargne des pays créanciers vers des investissements improductifs et parfois non rentables dans les pays débiteurs.

A elles seules, les réformes structurelles ne résoudront donc pas le problème de l’union monétaire. Si certaines sont essentielles pour réduire l’écart initial de compétitivité, elles ne s’attaquent pas à la cause responsable du creusement de cet écart.

Développer des circuits parallèles de financement

Pourquoi l’épargne a-t-elle été allouée de façon inefficiente ? Parce que la construction de la zone euro est restée – et reste – inachevée. Une double distorsion empêche, en effet, une circulation efficace de l’épargne privée : une partie est encore contrôlée au niveau national et l’autre partie, qui circule librement, transite essentiellement par les banques.

En France par exemple, 16 % de l’épargne privée est « réglementée » : elle ne peut servir qu’à financer des investissements sur le territoire, notamment dans l’immobilier et les infrastructures publiques. Par ailleurs, le rendement garanti imposé par l’Etat sur l’assurance-vie fonds euro - qui représente 31 % de l’épargne privée - contraint les banques et les sociétés d’assurance à investir massivement dans la dette souveraine, souvent nationale.

De plus, l’absence d’un véritable marché européen des capitaux implique qu’une trop grande partie de l’épargne circule par l’intermédiaire des banques. En France, les fonds d’investissement ne gèrent que 7 % de l’épargne privée. La Caisse des dépôts et consignations, banque publique, dispose à elle seule d’un montant équivalent provenant d’une partie de l’épargne des livrets réglementés. Les différents livrets et comptes d’épargne dans les banques privées représentent plus de trois fois les montants à disposition des fonds d’investissement.

La crise de la zone euro illustre a posteriori l’incapacité du système bancaire à financer systématiquement les projets les plus productifs et innovants. Il faut donc développer des circuits parallèles de financement pour les entreprises : mettre en place un marché obligataire avec un cadre réglementaire européen ; promouvoir le financement participatif ; encourager les introductions en bourse des entreprises matures et le financement des plus jeunes par les fonds d’investissement.

Un fonds d’investissement pour la zone euro

A cet égard, même s’il ne plaçait pas le débat dans la perspective européenne, il est regrettable que le projet de loi « #Noé » sur les nouvelles opportunités économiques, qui souhaitait réallouer une partie de l’épargne vers le financement en capital d’entreprises innovantes, ait été abandonné par l’exécutif.

Le chantier qui doit être mené au niveau européen est donc double : supprimer les régulations qui conditionnent l’utilisation de l’épargne à des fins domestiques et développer des circuits parallèles de financement pour les entreprises. La création d’un fonds d’investissement pour la zone euro pourrait faire le lien entre les deux en favorisant l’allocation de l’épargne privée vers les besoins des entreprises.

Ce fonds pourrait être financé par le lancement d’un livret d’épargne et d’un plan d’épargne-retraite dans tous les pays de la zone euro. La Commission européenne mènerait, en lien avec le fonds, un travail d’identification des secteurs prioritaires d’investissement dans les pays périphériques afin d’y développer un modèle de croissance complémentaire de celui des pays du cœur. Enfin, la gouvernance du fonds serait indépendante des autorités nationales et il serait placé sous le contrôle d’une commission du Parlement européen ou d’un futur parlement de la zone euro.

Il est crucial que les hommes politiques s’emparent dès maintenant du problème de l’allocation de l’épargne. Il en va de l’avenir de nos économies.