« J’ai demandé à mon père cinq jours avant son décès s’il pensait que je pouvais réussir à reprendre les rênes de Syllart Records, il m’a dit : “Oui, si tu attaches bien ton pagne !” » Trois ans plus tard, Binetou Sylla, 27 ans, a relevé le défi. A la tête du label indépendant de musiques africaines et afro-latines fondé par son père Ibrahima, elle vient de sortir, vendredi 24 juin, un album collectif ambitieux : AfroDias, Génération enjaillement.

Mélange de titres déjà sortis et d’inédits, le projet rassemble vingt-cinq artistes de treize pays différents, comme le Ghana, la Côte d’ivoire ou encore l’Afrique du Sud. Surprise : on trouve également le Guyanais Shizu et son titre « Motoyoso ». « C’est important de montrer que l’africanité n’est pas que sur le continent africain. Je suis née et j’ai grandi en France. L’Afrique est aussi en dehors de ses frontières », souligne Binetou Sylla.

XVBARBAR - Gomu Bang
Durée : 03:06

La jeune femme souhaitait faire un projet qui lui ressemble, tout en gardant l’ADN de Syllart Records, qui a toujours valorisé les artistes africains. AfroDias, pour « afro et diaspora », est à l’image de ce qu’avait réalisé, vingt-trois années plus tôt, Ibrahima Sylla avec le groupe de salsa Africando. Il avait réuni un Haïtien, des Américains, des Cubains, des Congolais, des Béninois et un Guinéen autour de la musique afro-latine.

Succès viral

Pour la nouvelle génération, l’africanité est un état d’esprit. AfroDias met en lumière une révolution en cours, celle d’une jeunesse, qui, tout en se revendiquant d’une culture urbaine, affirme fièrement et sans complexes ses origines. La mode s’est africanisée ces cinq dernières années avec la diffusion des imprimés wax. La musique suit. On le constate en France avec le succès d’artistes comme Maître Gims et son titre « Sapés comme jamais », Franko et « Coller la petite », Jovi avec « Et p8 koi », Sidiki Diabaté et « C’est bon », Niska et « Matuidi Charo » ou encore MHD avec « Fais le mouv ».

AfroDias est un projet que Syllart Record développe depuis décembre 2015. A l’origine du déclic : l’artiste anglaise d’origine congolaise, C Cane, qui ouvre l’album avec le titre « Kota » écrit par un autre rappeur, Cheick Tidiane Koité alias C.T. Koité, fils du célèbre Habib Koité. « C’est en écoutant C Cane rapper en lingala sur la radio BBC que je me suis dit que je devais sortir AfroDias », dit Binetou Sylla. Ensuite, elle a vu l’engouement suscité par le remix de la chanson « Ojuelegba » de Wizkid par Skepta et Drake. Enfin, le succès viral du jeune artiste MHD.

(Official Version) | Wizkid ft Drake & Skepta - Ojuelegba (Remix)
Durée : 04:16

« Je souhaite montrer à travers cette mixtape que l’afro-trap existe depuis longtemps et que ce mouvement ne part pas de la diaspora. Les rappeurs du continent utilisent depuis longtemps les sonorités africaines comme le groupe ivoirien Kiff No Beat, le camerounais Maahlox au Cameroun ou le Malien Iba One. » Ajoute Binetou Sylla.

Syllart Record n’est pas seul sur ce projet : le label indépendant s’est associé à Universal pour sortir trois albums « AfroDias ». « Nous n’avons pas la force de frappe de pousser un titre en radio par exemple, d’avoir de gros moyens de communication, justifie Binetou Sylla. J’ai tout de même imposé que, sur tous les supports de communication, le nom Syllart Records apparaisse. »

Aujourd’hui, AfroDias est mis en avant sur la plate-forme musicale iTunes. Coup de pouce d’Universal ou fruit du hasard ? Personne chez Syllart Record ne l’explique, mais tous s’en félicitent. La petite équipe de trois personnes logée dans le XVIIIe arrondissement de Paris se voit déjà loin, très loin. « Je sens un appel des Etats-Unis, j’ai l’impression qu’en allant vivre à New York, les choses vont bouger plus vite avec les 30 000 titres de mon catalogue », certifie Binetou Sylla, en digne héritière de l’empire familial.