A la veille des 20es championnats d’Afrique d’athlétisme, la décontraction de Caster Semenya lors de la conférence de presse inaugurale en disait long sur sa sérénité retrouvée. Aux côtés de son compatriote Wayde van Niekerk et de l’Ivoirienne Murielle Ahouré, la Sud-Africaine fait partie des principales têtes d’affiche du rendez-vous continental, qui se tient du 22 au 26 juin à Durban, en Afrique du Sud. « Ce sont mes premiers championnats d’Afrique. Pour moi, il s’agit surtout de m’amuser, confiait la native de Pietersburg, dans le nord-est du pays. J’ai l’avantage de courir à domicile, donc je serai un peu moins nerveuse qu’à l’étranger. »

Sur le modeste stade annexe du Kings Park Stadium de Durban, Caster Semenya s’apprête à tout donner devant ses proches. Jeudi et vendredi, elle disputera les séries et, sauf surprise, la finale du 1 500 mètres, avant d’enchaîner, samedi et dimanche, avec le 800 mètres et le relais 4 × 400 mètres sud-africain. « Le doublé 1 500 et 800 mètres nous a donné une cible pour maintenir le travail d’endurance jusqu’à la fin de juin, explique son entraîneur, Jean Verster. Caster apprécie le 1 500 mètres et aimerait voir où elle en est dans sa préparation. L’objectif est de gagner des médailles et, espérons-le, des médailles d’or dans toutes les courses. »

Statut de favorite

A 25 ans, la coureuse semble s’accommoder sans peine de son statut de favorite pour le titre olympique. L’athlète timorée de 18 ans, qui s’était révélée le 19 août 2009 en finale des championnats du monde à Berlin, a laissé place à une championne souriante et décomplexée. Dans la capitale allemande, l’adolescente avait marqué les esprits en remportant le 800 mètres en 1 min 55 s 45 ‒ aucune femme n’a couru plus vite depuis ‒ avec plus de 20 mètres d’avance sur ses adversaires.

Mais à peine la ligne franchie l’apparence masculine de la nouvelle championne du monde avait déclenché une véritable tornade médiatique autour de son genre sexuel. Causée par un taux de testostérone estimé à trois fois supérieur à la moyenne, l’hyperandrogénie de Caster Semenya avait déjà été évoquée trois semaines plus tôt, après que la Sud-Africaine eut porté son record à 1 min 56 s 72, le 31 juillet 2009.

Interpellée par cette progression de presque huit secondes en moins d’un an, la Fédération internationale d’athlétisme (IAAF) avait alors diligenté un premier examen médical à Pretoria quelques jours plus tard pour vérifier qu’elle était bien une femme, suivi d’un second à Berlin la veille de la finale mondiale. L’IAAF décida alors d’effectuer des analyses plus poussées afin de déterminer si Caster Semenya bénéficiait d’un avantage physique inéquitable sur ses rivales. Après onze mois d’enquête, elle a finalement été autorisée à courir à nouveau le 6 juillet 2010, à condition de se conformer au taux limite de testostérone nouvellement instauré par la fédération.

« Humiliée » et « blessée »

A partir de là, les performances de la Sud-Africaine n’ont cessé de chuter, en dépit de son jeune âge. Deuxième des championnats du monde en 2011, elle dut se contenter d’une nouvelle médaille d’argent aux Jeux olympiques de Londres l’année suivante. Sa lente régression s’est poursuivie jusqu’en 2014, année où elle ne put faire mieux que 2 min 2 s 66. Il se murmurait alors que c’était la conséquence directe du traitement hormonal imposé par l’IAAF pour limiter sa production de testostérone ; ce que l’intéressée a toujours démentie.

S’estimant « humiliée » et « blessée » par le traitement infligé, Caster Semenya a mis ses résultats en déclin sur le compte d’une blessure récurrente au genou. Après avoir pensé à arrêter, elle a finalement préféré changer d’entraîneur et d’environnement en novembre 2014. Exit la légende du 800 mètres Maria Mutola et ses anciens quartiers de Pretoria, place maintenant à Jean Verster et au centre d’entraînement international de Potchefstroom, où elle a repris ses études.

Un triplé historique

Le 27 juillet 2015, une décision du Tribunal arbitral du sport (TAS) sur le cas d’une autre athlète androgyne, la sprinteuse indienne Dutee Chand, a suspendu pour deux ans l’application du taux limite de testostérone mis en place par l’IAAF. Coïncidence ou non : Caster Semenya a dès lors vu ses performances redécoller, accédant aux demi-finales des championnats du monde un mois plus tard à Pékin dans le temps prometteur de 1 min 59 s 59.

En avril, quatre mois après son union avec l’ancienne athlète Violet Raseboya, la jeune mariée a marqué les esprits à Stellenbosch, près du Cap, avec un triplé historique aux Championnats d’Afrique du Sud. En l’espace de cinquante minutes, elle a établi les deux meilleures performances mondiales de l’année sur 400 mètres (50 s 74) et 800 mètres (1 min 58 s 45). Et moins de trois heures plus tard, elle remportait le 1 500 mètres dans un chrono décent (4 min 10 s 93) pour une spécialiste du sprint long.

Sur sa lancée, Caster Semenya a signé trois victoires nettes sur 800 mètres lors des meetings de Diamond League de Doha, Rabat et Rome. A l’arrivée de chaque course, la Sud-Africaine a pris le temps de venir saluer chacune de ses adversaires, comme pour apaiser toute éventuelle hostilité à son encontre. Son meilleur chrono, de 1 min 56 s 64, réalisé à deux reprises, constitue toujours la référence mondiale cette année.