Un agriculture propage un insecticide, le 10  mai 2015 à Blecourt. | PASCAL ROSSIGNOL / REUTERS

Les associations environnementales espéraient « une loi historique ». Ce devait être, quarante ans après la loi de 1976 sur la protection de la nature, le premier texte d’envergure en faveur d’une biodiversité en péril. Las, le projet de loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages, tel qu’il a été voté par les députés, jeudi 23 juin, et qu’il demeurera vraisemblablement lors de sa lecture finale programmée le 18 juillet, ne tient pas toutes ses promesses.

Annoncé voilà quatre ans déjà par François Hollande, et déposé en mars 2014, ce projet de loi, doté de plus de 70 articles, aura connu un parcours aussi long que chaotique, le Sénat s’employant, à chaque étape de la navette parlementaire, à détricoter la trame tissée par l’Assemblée.

Au-delà du fossé habituel entre majorité et opposition, les débats auront été marqués par l’influence omniprésente, dans les deux chambres, des puissants lobbys des chasseurs, des tenants de l’agriculture intensive et des industriels de l’agrochimie. Et, sur certains dossiers comme les néonicotinoïdes, par des discordances au sein même du gouvernement, entre le ministère de l’environnement et celui de l’agriculture. Avec, pour résultat, une loi d’un vert passablement terni.

Agence pour la biodiversité et préjudice écologique

Au final, si la secrétaire d’Etat à la biodiversité, Barbara Pompili, se félicite d’une « version ambitieuse », la réalité est pourtant plus contrastée. Certes, des avancées réelles ont été enregistrées.

Ainsi de la création, prévue début 2017, d’une Agence française pour la biodiversité (AFB), destinée à coordonner les politiques en faveur des milieux naturels en regroupant quatre structures : l’Office national de l’eau et des milieux aquatiques, l’Atelier technique des espaces naturels, l’Agence des aires marines protégées et les Parcs nationaux de France.

Toutefois, cet ensemble souffre de l’absence de l’Office national de la chasse et de la faune sauvage, ainsi que de l’Office national des forêts. Et l’AFB n’est pas encore assurée de disposer de tous les moyens humains et financiers nécessaires à ses missions.

Autre progrès important, l’inscription dans le code civil du préjudice écologique. Il impose, en cas d’atteinte à l’environnement, une remise en état du milieu dégradé par celui qui en est jugé responsable ou, à défaut, le paiement de dommages et intérêts, selon le principe du pollueur-payeur.

Au titre des acquis, on retiendra aussi le principe fondamental de non-régression du droit de l’environnement. Il pose que « la protection de l’environnement (…) ne peut faire l’objet que d’une amélioration constante, compte tenu des connaissances scientifiques et techniques du moment ».

Parmi les autres mesures adoptées, on trouve, pêle-mêle, la ratification du protocole international de Nagoya, qui réglemente l’accès aux ressources génétiques naturelles et le partage de leur utilisation, la création de zones de conservation halieutiques et d’espaces de continuités écologiques ou encore l’interdiction, plus anecdotique, des cotons-tiges en plastique à compter du 1er janvier 2020.

Recul sur les néonicotinoïdes…

Le bilan est plus nuancé sur le dossier emblématique des néonicotinoïdes, ces insecticides reconnus nocifs pour les pollinisateurs domestiques comme sauvages. Les députés, après d’âpres batailles dans et en dehors de l’hémicycle, ont finalement voté une interdiction en deux temps de ces substances : à partir du 1er septembre 2018 sur l’ensemble des cultures, mais avec des dérogations possibles jusqu’au 1er juillet 2020.

Une mesure qui a déçu associations et certains parlementaires. « Cet amendement introduit une dérogation de portée générale, qui n’est pas limitée aux seuls cas de dangers graves pour les cultures et d’absence d’alternative. Cela repousse en pratique l’interdiction à 2020, ce qui n’est pas acceptable », dénonce Delphine Batho, députée (Parti socialiste, Deux-Sèvres), à la pointe du combat contre les néonicotinoïdes.

… et renoncement sur l’huile de palme

Le 22 juin, l’Assemblée a également renoncé à la taxe additionnelle sur l’huile de palme, dite « taxe Nutella ». Celle-ci était destinée à mettre fin à la niche fiscale dont bénéficie aujourd’hui cette huile, moins taxée que le tournesol ou le colza, alors que sa production provoque une déforestation à grande échelle.

En seconde lecture, les députés avaient décidé de la surtaxer à hauteur de 30 euros par tonne en 2017, avec une progression jusqu’à 90 euros en 2020. Ce qui avait suscité la protestation des deux principaux producteurs mondiaux, l’Indonésie et la Malaisie, ainsi que de l’industrie agroalimentaire.

En lieu et place de cette taxe, les députés ont adopté un amendement qui prévoit de revoir d’ici à six mois « le dispositif actuel de taxation des huiles alimentaires, afin notamment de (…) favoriser les productions dont la durabilité fait l’objet de critères objectifs ». La secrétaire d’Etat à la biodiversité promet donc que ce n’est que partie remise.

En définitive, hommes, animaux, plantes et milieux naturels se porteront incontestablement mieux avec cette loi. Mais elle n’est pas aussi verte que l’aurait exigé le déclin d’une biodiversité pour laquelle tous les signaux sont au rouge.