Des opposants au centre d’enfouissement des déchets radioactifs de Bure, mardi 21 juin, dans la forêt de Mandres-en-Barrois (Meuse). | JEAN-CHRISTOPHE VERHAEGEN / AFP

La gestion des déchets nucléaires français n’est décidément pas un long fleuve tranquille. Elle a pris, depuis quelques jours, une tournure exacerbée par deux événements. D’une part, la nomination du président du conseil d’administration de l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs (Andra), le député socialiste de Seine-Maritime Christophe Bouillon, comme rapporteur d’une proposition de loi sur l’enfouissement de ces déchets. D’autre part, le lancement par l’Andra de travaux dans une forêt communale, à l’aplomb du futur site de stockage de Bure (Meuse). Deux initiatives dans lesquelles les opposants au « cimetière radioactif » voient une tentative de « passage en force ».

Le projet de Centre industriel de stockage géologique (Cigéo), porté par l’Andra, vise à enfouir dans une couche d’argile, à 500 mètres de profondeur, les déchets nucléaires français les plus dangereux, parce que les plus radioactifs ou les plus persistants. Cette installation, dont la mise en service est prévue en 2025, devra garantir le confinement de 80 000 m3 de résidus radioactifs pendant plusieurs millénaires. Son exploitation durera plus d’un siècle, avant un scellement définitif. Durant ce laps de temps, la réversibilité du stockage – c’est-à-dire la possibilité de récupérer les produits radioactifs, mais aussi de choisir d’autres modes de gestion – doit être assurée.

Coup d’accélérateur

Alors que le dossier traîne en longueur, le Sénat lui a donné un coup d’accélérateur, en adoptant à la quasi-unanimité, le 17 mai, une proposition de loi des sénateurs meusiens Gérard Longuet (LR) et Christian Namy (UDI-UC). Celle-ci définit la réversibilité et permet la poursuite du projet. Ce qui, dénoncent les opposants, revient à lui donner un feu vert.

Cette proposition de loi, inscrite sur proposition du gouvernement à l’ordre du jour de la session extraordinaire du Parlement, sera examinée par les députés le 11 juillet. Le vote est acquis, la majorité comme l’opposition étant favorables au stockage géologique, auquel les élus écologistes sont seuls à s’opposer.

La nomination de Christophe Bouillon comme rapporteur a été proposée, le 15 juin, par les élus socialistes de la commission du développement durable de l’Assemblée, présidée par le député PS de l’Indre Jean-Paul Chanteguet. Et acceptée sans sourciller par les membres de cette commission.

« Conflit d’intérêts d’une extrême gravité »

Dans une lettre ouverte à MM. Bouillon et Chanteguet, plusieurs associations (Sortir du nucléaire, coordination Burestop, Amis de la terre) dénoncent « un scandale » et « un conflit d’intérêts d’une extrême gravité ». Ils y voient une façon de « forcer la porte de l’Assemblée, après celle du Sénat », pour un projet marqué par « le mépris total des principes démocratiques élémentaires ».

Interrogé par Le Monde sur sa position de juge et partie dans ce dossier, Christophe Bouillon répond qu’« il n’y a pas d’incompatibilité juridique ni constitutionnelle » entre la présidence du conseil d’administration de l’Andra, qu’il exerce « à titre bénévole et sans fonction exécutive », et le rôle de rapporteur de la proposition de loi. « L’Andra est une agence de l’Etat avec une mission d’intérêt national, ajoute-t-il. C’est la loi qui fait l’Andra, et non l’Andra qui fait la loi. Il n’y a donc pas de conflit d’intérêts. Mais, à l’évidence, certains ont intérêt au conflit… » Le président rapporteur n’en a pas moins saisi, mardi 21 juin, le déontologue de l’Assemblée nationale, afin de crever l’abcès. « Bien évidemment, précise-t-il, je me conformerai à son avis. »

Travaux exploratoires

En tout état de cause, ce mélange des genres ne fait qu’envenimer la situation, très tendue sur le terrain meusien. Car l’Andra a entrepris depuis une quinzaine de jours des travaux, dans la forêt communale du village de Mandres-en-Barrois, proche de Bure. Le site concerné, le bois Lejuc, se trouve à l’aplomb du futur centre de stockage souterrain. C’est là que doivent être creusés les puits d’accès qui achemineront le personnel et le matériel sous terre, ainsi que les puits de ventilation.

A ce stade, affirme l’Andra, il ne s’agit que de travaux exploratoires, consistant en « des investigations géotechniques sur cinquante centimètres de profondeur et l’installation de piézomètres », afin de caractériser le terrain où seront construits les bâtiments de surface. Ces repérages, précise-t-elle, sont nécessaires au dossier de demande d’autorisation de création du Cigéo, qui n’interviendra qu’en 2018.

« Au vu de l’ampleur des travaux engagés par l’Andra, qui a installé de larges clôtures avec une double rangée de piquets, il s’agit bel et bien de travaux préparatoires à l’aménagement du centre d’enfouissement », estime au contraire Corinne François, de la coordination Burestop. Les opposants estiment que ce chantier se déroule « en totale illégalité », sur une forêt « annexée ». Le conseil municipal de Mandres-en-Barrois a cédé cette parcelle à l’Andra, en échange d’une autre forêt, mais la population s’est prononcée contre cette cession lors d’une consultation et un recours, non suspensif, a été déposé par les habitants.

« Défendre la forêt »

Dimanche 19 juin, environ 200 manifestants se sont rassemblés dans la forêt de Mandres-en-Barrois. Ils ont enlevé les clôtures, dressé des barricades sur les chemins d’accès, installé un préau en bois comme point de ralliement. Depuis, plusieurs dizaines de réfractaires à la « poubelle atomique » de Bure, villageois ou antinucléaires, campent sur place. Une cabane en bois a été érigée, des tentes plantées entre les chênes, les charmes et les hêtres. L’Andra a décidé de déposer plainte contre cette occupation d’un terrain « qui lui appartient ».

S’achemine-t-on vers la création d’une zone à défendre (ZAD) comparable, toutes proportions gardées, à celle de Notre-Dame-des-Landes ? Les anti-Cigéo s’en défendent. Ils veulent seulement, disent-ils, « bloquer le début des travaux » et « défendre la forêt ». Mais, préviennent-ils dans un « appel à résister », leur mobilisation ne fait que commencer.