C’est une plongée inédite au cœur du système clanique corse. De décembre 2014 à juin 2015, les policiers ont placé sur écoutes téléphoniques Stéphane Domarchi, qui fut, officiellement, jusqu’à la fin 2014, un fonctionnaire d’une trentaine d’années, de catégorie C, détaché auprès de Joseph Castelli, président (PRG) du conseil général de Haute-Corse, mais qui, en réalité, était « le véritable patron du département », selon les enquêteurs.

Le fruit de ces écoutes lui a valu une mise examen, le 21 mai, pour recel de détournement de fonds publics. Mais ces heures de conversations offrent surtout un rare décryptage des mœurs politiques locales. Au fil des échanges avec sa femme, avec M. Castelli, des élus locaux ou encore Marie-Hélène Djivas, la directrice générale des services du conseil général de Haute-Corse, se dessine une Corse souterraine régie par les seules règles du clan, une violence sociale diffuse et l’appât du gain.

Stéphane Domarchi est l’un des fils de Dominique Domarchi, ex-maire de Sant’Andréa-di-Cotone (Haute-Corse), assassiné en mars 2011, qui fut le bras droit de Paul Giacobbi, homme fort de la vie politique insulaire jusqu’à la victoire des nationalistes aux élections territoriales fin 2015. « Dans l’ombre, les Domarchi ont géré depuis quinze ans toute la cuisine électorale et clientéliste de M. Giacobbi », résume un enquêteur. En 2012, Stéphane Domarchi devient le « président bis » de la Haute-Corse auprès de Joseph Castelli avant d’être prié, fin 2014, de quitter ses fonctions par le nouveau président (PRG) du département de Haute-Corse, François Orlandi.

Un départ qui passe mal. Pendant six mois, M. Domarchi se démène pour maintenir son train de vie et entretenir son influence. Devant le juge, sa principale interlocutrice au conseil général, Mme Djivas, justifie ses efforts pour satisfaire les exigences de l’intéressé par la volonté de ne pas « prendre de front M. Domarchi ». L’avocat de Mme Djivas, Me Jacques Vacarezza, précise au Monde qu’« on lui avait dit d’agir avec diplomatie et en douceur ». Mme Djivas avait été embauchée par MM. Castelli et Domarchi pour remplacer Jean Leccia après son assassinat, le 23 mars 2014.

Avantages et emplois fictifs

Fin 2014, après l’élection de Joseph Castelli au Sénat, M. Domarchi souhaite postuler à la fonction d’assistant parlementaire, mais craint d’échouer, car il n’a pas le bac. Mme Djivas lui propose alors de lui transmettre son propre diplôme du baccalauréat pour le modifier et faire un faux. Ils s’apercevront finalement que la qualité de maire suffit pour le poste…

De février à avril 2015, alors que M. Domarchi souhaite un poste « non sédentaire et ne pas avoir à pointer », Mme Djivas lui trouve un emploi de terrain dépendant de la direction des interventions sanitaires et sociales (DISS). « Tu traiteras en direct avec Jean-François Leoni [directeur de la DISS] qui pointera pour toi », assure Mme Djivas au téléphone. Pour ses déplacements, il refuse la petite voiture blanche avec le logo du conseil général. « Ne t’inquiète pas, je vais voir », lui répond-elle. Des avantages et un emploi présumé fictif qui valent une mise en examen à Mme Djivas. « Elle n’avait pas les moyens de suivre chaque fonctionnaire au quotidien », affirme son avocat.

Les écoutes montrent enfin que M. Domarchi continue à veiller sur les affaires publiques. Il conseille Mme Djivas sur la gestion des marchés publics pour qu’elle préserve les « équilibres » de l’île. Dénonçant à l’un de ses interlocuteurs, élu de Plaine orientale, la vague de « moralisation » en cours et soulignant l’existence de nombreux autres cas d’emplois fictifs, il s’insurge : « Mais que veulent les maires ? Des emplois, des subventions, une voiture et des cartes d’essence… » D’après lui, faute de subvenir à leur clientèle, les membres du clan Giacobbi « vont dans le mur et vont perdre les élections ». Une prédiction confirmée lors de la défaite surprise de fin 2015.