Un égoutier en décembre 2008 à Paris. | BORIS HORVAT / AFP

S’il est une catégorie de travailleurs particulièrement exposés à un air vicié, ce sont bien les égoutiers. Dans un avis rendu public mercredi 22 juin, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) s’alarme des effets sanitaires à long terme liés à leurs conditions de travail.

En 2004, une enquête, menée à la demande de la Ville de Paris par l’Institut national de recherche et de sécurité pour la prévention des accidents du travail et des maladies professionnelles (INRS), avait mis en évidence chez les égoutiers parisiens une surmortalité de 25 %, dont une part significative par maladies digestives, cancers et suicides. Cette surmortalité élevée a même été réévaluée à 56 % lors d’une mise à jour de l’étude en 2009. Mais quelles en étaient les causes ? En 2011, lAnses décidait de s’autosaisir de cette question et d’évaluer les risques sanitaires spécifiques des égoutiers.

C’est à un véritable cocktail d’agents chimiques et biologiques, présents dans l’eau et dans l’air de leur espace de travail, que sont exposés les égoutiers, révèle son expertise, qui s’appuie sur une campagne de mesures chez les agents de la Ville de Paris menée entre octobre 2014 et mars 2015.

« Surmortalité significative »

Les égoutiers sont déjà soumis aux particules fines (PM) et oxydes d’azote (Nox) provenant de l’air extérieur qui s’engouffre dans les égouts par les bouches d’aération. « Et à des niveaux de concentrations beaucoup plus élevés que ceux dans la rue, du fait du confinement de leur milieu de travail et du manque de renouvellement de l’air », souligne Valérie Pernelet-Joly, responsable de l’unité d’évaluation des risques liés à l’air de l’Anses.

Outre cet air vicié venant de l’extérieur, les égoutiers sont exposés aux polluants transportés par les eaux usées domestiques et industrielles et par des eaux pluviales contaminées : cobalt, cadmium, hydrocarbures aromatiques polycycliques, hydrogène sulfuré, etc. Bien qu’aujourd’hui mécanisé, le curage des bassins de dessablement – où sont charriés les déchets – exige une intervention humaine, tout comme le nettoyage des dégrilleurs, les systèmes de filtres destinés à piéger les déchets volumineux. Avec la manipulation des déchets, les agents chimiques qu’ils contiennent se diffusent dans l’atmosphère sous forme d’aérosols, de gouttelettes ou de microparticules que les égoutiers peuvent inhaler ou ingérer, ou qui peuvent se poser sur leur peau. Ce qui n’est pas sans effet sur leur santé.

Les égoutiers présentent ainsi fréquemment des symptômes digestifs, respiratoires, d’irritation du nez, de la gorge et de la peau. On observe aussi chez eux une augmentation de la fréquence de certaines pathologies infectieuses. Ils souffrent notamment souvent de diarrhée. Quant aux études de mortalité, elles « objectivent une surmortalité significative, principalement pour les cancers des poumons et du foie », insiste l’Anses, tout en soulignant qu’il n’est pas possible d’identifier précisément un ou plusieurs facteurs responsables.

« C’est la conjugaison d’agents chimiques qui est nocive »

De fait, les concentrations mesurées pour chacun des polluants dans les réseaux d’assainissement sont relativement faibles, en tout cas inférieures aux valeurs limites d’exposition professionnelle, note l’Anses. Mais, explique-t-elle, le fait même d’être exposé simultanément à un ensemble de polluants, qui de surcroît interagissent entre eux, a des effets sanitaires importants. « C’est la conjugaison de tous ces agents chimiques qui est nocive. C’est vraiment le cocktail qu’ils forment qui entraîne chez les égoutiers le développement de pathologies spécifiques », insiste Valéry Pernelet-Joly.

Tout en recommandant un suivi médical renforcé des égoutiers, l’Anses appelle les employeurs à prendre en compte dans leur « document unique d’évaluation des risques » ceux liés à l’exposition des agents à cette pollution chronique dans les réseaux d’assainissement. Et pas uniquement les risques accidentels, tels que les chutes. « Il faut aussi s’appuyer sur l’expertise des égoutiers, pour bien recenser les zones à risque dans les réseaux d’assainissement, et imaginer une plus grande mécanisation quand c’est possible, ou en tout cas renforcer la prévention en exigeant des protections et optimiser l’intervention des égoutiers à ces endroits-là », préconise Valérie Joly-Pernelet.

En France, la gestion de l’assainissement (collecte, transport et traitement des eaux usées et pluviales) est du ressort des collectivités locales, qui s’en occupent majoritairement en régie. Certaines tâches peuvent néanmoins être sous-traitées à des entreprises privées. Qu’ils soient agents de la fonction publique territoriale ou salariés du privé, les égoutiers, souligne l’Anses, passent « officiellement au moins la moitié » de leur temps de travail dans les réseaux d’assainissement.

A Paris, le service compte par exemple 1 500 personnes, dont 265 interviennent régulièrement dans les réseaux. Ces derniers sont 259 à Lyon.