Dans les rues de Glasgow, le 23 juin | Jeremy Hibbert pour Le Monde

Pour ceux qui ont vécu la tension du référendum sur l’indépendance écossaise le 18 septembre 2014, la journée de vote sur l’appartenance du Royaume-Uni à l’Union européenne a eu une saveur bien fade. Pas de drapeaux aux fenêtres, pas de pancartes, pas d’autocollants sur les voitures, pas de débats interminables jusqu’au cœur des familles : le référendum sur le « Brexit  » n’a, à l’évidence, pas déclenché les passions à Glasgow, où l’on considérait largement que la consultation a été imposée par Londres pour des raisons de politique interne au Parti conservateur. Personne ne qualifiait ici le scrutin « d’historique », même si les Ecossais, nettement plus pro-européens que le reste du Royaume-Uni, devraient largement se prononcer en faveur du maintien dans l’UE.

Au bureau de vote de l’église d’Abbotsford, à Clydebank, dans la banlieue résidentielle de Glasgow, les électeurs ont voté au compte-gouttes. Dans ce bastion du Parti national écossais (SNP), la majorité de ceux interrogés par Le Monde ont soutenu la positon pro-européenne du parti. « Je fais confiance à Nicola Sturgeon [la première ministre écossaise] et à mon PDG, qui ont dit qu’il fallait voter pour le Remain », explique Zoe Crawford, 33 ans, employée de l’opérateur Telefonica. Beaucoup d’électeurs de cette banlieue de la classe moyenne expriment aussi leur rejet des positions anti-immigration défendues par le leader du UKIP, Nigel Farage. « Il me terrifie », lâche même Marion McGinley, 85 ans. « Il parle immigration, immigration, mais le plus important c’est l’économie », explique cette électrice du SNP. « Je travaille dans les ressources humaines, et je sais qu’on a besoin de main-d’œuvre étrangère », renchérit Patricia Wason, 51 ans, fonctionnaire à la mairie de Glasgow.

« Il est trop tôt pour organiser encore un nouveau référendum »

Aucun électeur ne cite spontanément l’idée avancée par certains membres du parti qu’un nouveau référendum d’indépendance pourrait être organisé si l’Ecosse votait pour le maintien, tandis que le reste du Royaume-Uni voterait pour sortir. « Je pense que quoi qu’il arrive, il est trop tôt pour organiser encore un nouveau référendum », dit Marion McGinley. « Franchement je ne me suis pas décidé en fonction de cela, mais parce qu’on serait plus fort dans l’UE. Je suis pour une Ecosse indépendante, mais certaines décisions, notamment sur la sécurité ou l’immigration, doivent être prises au niveau européen », pense Jamie MacDonald, 35 ans, styliste indépendant, et électeur dans les quartiers chics de Westend. Ici, la participation est élevée et les électeurs majoritairement favorables au maintien à en croire les quelques militants du « in » qui distribuent des tracts devant le bureau. « On n’a eu qu’un seul électeur qui nous a dit qu’il voterait Leave. »

Résidente de Glasgow, la première ministre, Nicola Sturgeon, a voté en début de matinée en se montrant très confiante. « Glasgow est une grande ville qui bénéficie beaucoup des fonds européens, c’est une ville qui héberge beaucoup d’Européens », a-t-elle dit. Les syndicats, toujours très puissants dans cette ville de tradition ouvrière, ont tous appelé à voter pour le Remain. Dans les rues du centre, les militants pour le maintien ont tracté sans relâche, alors que ceux du Leave étaient invisibles. « Je m’y consacre dix heures par semaines depuis deux mois », explique Mélodie Emre, une professeure de français de 25 ans, installée depuis deux à Glasgow. « Je n’ai pas le droit de voter, mais quand les gens voient que je m’investis autant, ça les convainc parfois ». Cette mobilisation compense celle quasi inexistante du SNP, qui n’a , à l’évidence, pas voulu trop s’investir dans la campagne pour ne pas apparaître aux côtés de David Cameron, le premier ministre conservateur largement rejeté en Ecosse.

Limiter les arrivées de l’étranger

Rare note discordante, Fiona Kelly, étudiante en psychologie et électrice de UKIP à Clydebank assure, elle, voter sans hésitation pour le « Leave ». « Je ne suis pas raciste, mais j’ai trois enfants et seulement deux chambres pour les faire dormir, et tous les logements sociaux sont occupés par des immigrés », dit cette mère célibataire de 42 ans, persuadée qu’une sortie de l’UE pourrait limiter les arrivées de l’étranger.

A George Square, dans le centre de Glasgow, un petit mémorial en l’honneur de la députée assassinée Jo Cox a été improvisé, avec un portrait, quelques fleurs et des bougies. En sortant du travail, Elizabeth Bingham, maîtresse de conférence à l’université, s’arrête un moment pour se recueillir. « Cet acte a renforcé ma volonté de voter pour le maintien, c’est un symbole de ce qui pourrait se passer si la sortie l’emporte », explique-t-elle, effrayée par les propos sur l’immigration qui ont été tenus en Angleterre, et dont l’Ecosse a globalement été épargnée. Mais, rapidement, elle reparle de Westminster, de « ses politiques corrompus », de ce gouvernement britannique que « l’Ecosse n’a pas choisi » et de son identité profondément « non britannique ». Comme la plupart des électeurs écossais, cela l’anime nettement plus que tous les débats sur l’appartenance à l’UE.