L'arrivée mouvementée de Jérôme Cahuzac à l'ouverture de son procès
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Vingt-huit pages sèches à la lecture austère : des dates, des sommes en francs et en euros, des noms de comptes bancaires dissimulés en Suisse, à Singapour et sur l’île de Man, les articles du code pénal qui définissent les délits de « fraude fiscale » et de « blanchiment de fraude fiscale », et celui du code électoral qui, pour les membres du gouvernement, réprime les déclarations de patrimoine fausses ou incomplètes.

Ainsi se résume, sous la plume des juges Renaud Van Ruymbeke et Roger Le Loire, le plus retentissant scandale politique du quinquennat de François Hollande, qui a vu le ministre du budget de l’époque, Jérôme Cahuzac, démentir « les yeux dans les yeux », face aux plus hautes autorités de l’Etat, à la représentation nationale et à l’opinion, les premières révélations du site Mediapart en décembre 2012 sur sa possession d’un compte bancaire dissimulé à l’étranger, puis présenter, quatre mois plus tard, fin mars 2013, sa démission du gouvernement, en avouant qu’il avait menti. Car l’enquête des juges commence quand l’affaire Cahuzac est finie.

« Jean-Claude Romand de la politique »

La voix inquiète qui, sur un désormais fameux enregistrement malencontreux, évoque « un compte toujours ouvert à l’UBS (…), pas forcément la plus planquée des banques » vient d’être expertisée et authentifiée comme étant celle de Jérôme Cahuzac. Dans les jours qui suivent, le 26 mars 2013, les deux juges reçoivent une lettre du ministre tout juste démissionnaire : « Vous avez été désignés pour instruire une affaire qui me concerne. Contrairement aux déclarations que j’ai été conduit à faire alors que j’étais membre du gouvernement, je suis titulaire d’un compte à l’étranger et souhaite vous fournir toutes les explications à ce sujet. » Il est aussitôt mis en examen.

Après deux ans d’instruction destinés à démêler l’écheveau des comptes bancaires et des transferts de fonds, l’ancien ministre, son ex-épouse Patricia, le banquier François Reyl, la banque du même nom en qualité de personne morale et l’intermédiaire financier Philippe Houman sont renvoyés devant le tribunal correctionnel. Faute d’éléments suffisants, les poursuites concernant une possible origine frauduleuse des fonds liée aux anciennes activités de Jérôme Cahuzac, en qualité de conseiller auprès des laboratoires pharmaceutiques, sont abandonnées.

Jérôme Cahuzac, à Paris, en juin 2013. | JOEL SAGET/AFP

Les délits de fraude fiscale et de blanchiment portent sur un montant de 687 000 euros d’avoirs dissimulés pour Jérôme Cahuzac et de 2,5 millions d’euros pour son ex-épouse – le divorce du couple a été prononcé le 4 novembre 2015.

Tel est l’enjeu judiciaire du procès qui s’ouvre lundi 8 février devant le tribunal correctionnel de Paris. Mais la comparution de l’ancien ministre réveille surtout, intacte, la fascination pour la trajectoire brisée du « Jean-Claude Romand de la politique », comme le qualifiait l’un de ses anciens conseillers dans un long portrait du Monde en juin 2013, en référence à l’histoire de ce faux médecin acculé par ses mensonges qu’Emmanuel Carrère a immortalisé dans L’Adversaire (Gallimard, 2001). Ce personnage-là, le trouble et mystérieux Jérôme Cahuzac, est au cœur de deux récits publiés à l’occasion du procès, l’un du journaliste Mathieu Delahousse, Code Birdie (Flammarion, 256 p., 19 euros), l’autre de l’écrivain et historien Jean-Luc Barré, Dissimulations (Fayard, 270 p., 18 euros).

Règlements de comptes conjugaux

Le premier, qui tire son titre du nom d’emprunt sous lequel l’ancien ministre s’identifiait pour gérer ses fonds occultes, est une plongée dans l’enquête judiciaire. Nourri des procès-verbaux de l’instruction, il apporte un éclairage singulier sur les règlements de comptes conjugaux qui ont contribué à déclencher l’affaire et sur tous les seconds rôles grâce auxquels la dissimulation a pu être si longtemps maintenue, parmi lesquels Philippe Péninque, ami intime de Jérôme Cahuzac et conseiller personnel de Marine Le Pen.

Le second se dévore comme un roman. Jean-Luc Barré connaît très bien l’ancien ministre. Leur amitié s’est nouée à Villeneuve-sur-Lot (Lot-et-Garonne), la ville qui a donné à Jérôme Cahuzac son envol politique et nourri en son sein les ferments qui précipiteront sa chute. Ancien élu – sur la liste de ses opposants –, Jean-Luc Barré a été le témoin et l’observateur privilégié de la comète Cahuzac depuis l’arrivée tonitruante « dans le dédale mauriacien de cette petite cité provinciale » du riche chirurgien parisien, spécialiste des implants capillaires, aussi séducteur pour ses électeurs qu’humiliant pour ceux qui osent se dresser en travers de sa route, faisant preuve à la fois d’une intelligence aiguë et d’une déconcertante inconscience, jusqu’à la déflagration de 2012.

Tous les personnages sont là, cueillis à l’origine : le cercle local dans lequel évoluent l’avocat et ancien maire Michel Gonelle, dont le répondeur captera la fameuse conversation sur le compte occulte, Rémy Garnier, l’ancien fonctionnaire des impôts qui tentera en vain d’alerter sa hiérarchie sur les soupçons de dissimulation fiscale de Jérôme Cahuzac et qui ne le lâchera plus, Jean-Louis Bruguière, son rival politique malheureux. Viennent ensuite les cénacles parisiens, amitiés rocardiennes, franc-maçonnes, et tout un entrelacs d’intérêts professionnels, politiques et financiers.

Les cercles du pouvoir, enfin, des bancs de l’Assemblée nationale où, président de la commission des finances, il se fait remarquer pour sa fougue contre les fraudeurs fiscaux jusqu’à sa nomination par François Hollande à Bercy, où l’un de ses premiers chantiers de ministre est de faire adopter, en novembre 2012, un projet de loi de finances rectificative destiné à renforcer la lutte « contre l’évasion et la fraude fiscale ». De ce combat dont il se voulait le héraut témoigne la photo tristement célèbre qui le montre, lors d’une conférence de presse à Nanterre, derrière un pupitre sur lequel ce programme est affiché comme un slogan. Debout et droit, encore seul, pour quelques semaines, à connaître la gravité de la tumeur maligne du secret et des mensonges qui allaient l’emporter.

Le procès risque d’être reporté

Les avocats de Jérôme Cahuzac et de son ex-épouse vont soumettre au tribunal correctionnel de Paris, lundi 8 février, une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), dont l’examen est susceptible d’entraîner un report des débats au fond. La question posée porte sur le cumul de la procédure pénale avec un contentieux fiscal, qui contreviendrait au principe du « non bis in idem », selon lequel on ne peut pas être poursuivi et sanctionné deux fois pour les mêmes faits, au regard de la Convention européenne des droits de l’homme. La défense de Jérôme Cahuzac et son ex-épouse relève qu’ils ont déjà fait l’objet d’une poursuite fiscale diligentée par la direction générale des finances, devenue définitive et d’une sanction fiscale (avec pénalités), dont ils se sont l’un et l’autre acquittés.

Une QPC semblable a été déposée à l’ouverture du procès de l’affaire Wildenstein, en janvier. Le tribunal a jugé la question suffisamment « sérieuse » pour la transmettre à la Cour de cassation, qui doit ensuite décider de saisir, ou pas, le Conseil constitutionnel.

A la suite de la publication de cet article, M. Philippe PENINQUE nous a adressé le droit de réponse suivant :

« Je n’ai pu participer à maintenir la dissimulation du compte de Monsieur Cahuzac puisque le compte que je l’ai aidé à ouvrir en novembre 1992 à l’UBS dans le cadre des dispositions légales de l’époque a été fermé par lui en 1993 ce qui a mis fin à mon assistance. »