Un agriculteur pendant le Salon de l’agriculture à Paris, le 27 février 2016. | KENZO TRIBOUILLARD / AFP

La crise laitière n’est pas au premier rang des préoccupations bruxelloises. Sans surprise, le « Brexit » l’a largement occultée. Et le résultat du vote des Britanniques jeudi 23 juin n’a pas calmé les esprits, loin s’en faut. C’est dans ce contexte très particulier, que les ministres européens de l’agriculture devaient se retrouver lundi 27 et mardi 28 juin à Luxembourg.

A l’occasion de cette rencontre, la situation de la filière laitière européenne sera à nouveau évoquée. Le temps presse. « On est en état d’urgence », s’alarme Eric Andrieu, vice-président de la commission agriculture du Parlement européen. Le syndicat Jeunes agriculteurs (JA) met, lui, « la survie des producteurs » dans la balance pour demander des « mesures d’urgence ».

Nombre d’éleveurs français sont, en effet, sous forte pression financière. « Le prix du lait varie entre 260 et 280 euros la tonne », affirme Thierry Roquefeuil, président de la Fédération nationale des producteurs de lait (FNPL), branche spécialisée de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles (FNSEA). A comparer aux 363 euros atteints en moyenne en 2014, une très belle année. M. Roquefeuil ne voit pas de signe d’amélioration,malgré le rebond traditionnel du prix en été, au moment où la collecte baisse. « C’est mort pour 2016 », s’exclame M. Roquefeuil.

L’horloge tourne et la pression s’accroît

Il est vrai que le robinet de lait européen a bien du mal à se refermer. Selon le Centre national interprofessionnel de l’économie laitière, au moment où la production laitière avait progressé de 2,2 % en 2015, elle a bondi de 5,6 % les trois premiers mois de 2016. La palme du débit est décrochée par l’Irlande, avec un flux en hausse de 32 %, suivie de la Belgique (+ 21 %) et des Pays Bas (+ 15 %), alors que la France se limitait à + 0,5 %.

Difficile donc de juguler cette surproduction causée par la fin des quotas laitiers décrétée en Europe fin mars 2015 et aggravée par le coup de frein brutal des importations chinoises et l’embargo russe. Mi-mars, le ministre de l’agriculture, Stéphane Le Foll, a obtenu de la Commission européenne l’activation de l’article 222, un outil de régulation prévu dans le cadre de la politique agricole commune (PAC). Ce texte introduit une dérogation au droit de la concurrence et permet à des associations de producteurs ou à des coopératives de décider de réduire volontairement leur volume. Un pas de côté par rapport au dogme libéral de Bruxelles, mais limité à six mois.

La France se devait de donner l’exemple. Ce qu’elle a fait début avril. L’interprofession s’est engagée à une stabilisation de la production en 2016, alors qu’elle tablait sur une croissance moyenne des volumes de 2 % par an jusqu’en 2020. Mais les industriels ont conditionné cet accord à l’adoption de mesures similaires par les autres pays.

Depuis, l’horloge tourne et la pression s’accroît sur les éleveurs les plus fragiles. Mais comme l’avait pronostiqué le commissaire européen à l’agriculture Phil Hogan, sans incitation financière, personne ne se précipite pour participer. La Commission avait d’ailleurs autorisé les Etats membres à subventionner les acteurs privés désireux de réduire le flux de lait.

Les « Etats membres doivent se discipliner »

Le 9 juin, M. Le Foll a dévoilé une position commune trouvée entre la Pologne, l’Allemagne et la France. Ils la défendront lundi lors du conseil des ministres. Ils ont « convenu de la nécessité de mettre en place une incitation financière européenne pour encourager la réduction volontaire de la production laitière ». Reste à élargir le cercle et transformer cette posture politique en engagement de la Commission européenne à dégager un budget pour financer ces incitations.

Sachant que Bruxelles consciente que la crise touchait alors l’élevage laitier et porcin, avait débloqué, en septembre 2015, une enveloppe de 500 millions d’euros, dont 420 millions répartis entre les 28 Etats membres. Depuis, la Commission a aussi accepté de doubler pour 2016 le contingent de poudre de lait écrémé acheté au prix d’intervention, le portant à 218 000 tonnes. Mais ce doublement s’est déjà avéré insuffisant, puisque le plafond a été atteint le 24 mai. Selon l’institut public FranceAgrimer, la France, avec plus de 54 000 tonnes, est la troisième utilisatrice de cette mesure, derrière la Belgique (59 834 tonnes) et l’Allemagne (58 661 tonnes).

La Commission s’est dite prête à faire passer le plafond à 350 000 tonnes en 2016. Mais certains s’interrogent sur « ce débouché factice », qui incite à produire toujours plus. « A l’avenir, toute mesure de soutien devrait contribuer à réduire, ou a minima stabiliser la production. Par exemple, la prochaine tranche d’intervention ne serait accessible qu’aux opérateurs démontrant une réduction ou une stabilisation de leurs volumes », estime la Fédération nationale des coopératives laitières (FNCL), qui s’est alliée à ses homologues finlandais, italien, autrichien, portugais et espagnol.

Pour JA, les « Etats membres doivent ensemble se discipliner pour sortir de cette course aux volumes ». Le syndicat demande d’ores et déjà la reconduction pour six mois après l’échéance d’octobre de l’activation de l’article 222, qualifié de « bon outil ». Il réclame aussi un accompagnement financier. « Si sa mise en œuvre s’avérait être un échec dans les prochains mois, nous n’hésiterions pas à demander l’activation de l’article 221 permettant une réduction obligatoire de la production avec des pénalités en cas de non-respect », prévient le syndicat.