« Cet idéal de fluidification et de résidualisation du logement social, qui était d’ailleurs partagé par le gouvernement Fillon (loi dite « Molle » de 2009) va enfin être réalisé » (Photo: cité de la Grande Borne à Grigny). | AZZEDINE OUKBI / AFP

Par Yankel Fijalkow, professeur de sciences sociales et d’urbanisme à l’Ecole nationale supérieure d’architecture Paris-Val-de-Seine et chercheur au Centre de recherche sur l’habitat

La contestation de la loi sur le travail a éclipsé un débat sur un projet de loi, actuellement en discussion au Parlement, sur le logement social. Au sein du texte « égalité et citoyenneté » qui porte aussi sur l’émancipation des jeunes, le service civique et les conseils citoyens, l’opacité des discussions techniques rajoute à la confusion.

Pourtant, en ces temps où le nombre de mal logés voisine quatre millions de personnes, selon la Fondation Abbé Pierre, ce projet va encore fragiliser les 11 millions de locataires du parc social.

Soucieux de « fluidifier le logement social » et de le réserver aux revenus faibles, le gouvernement prévoit que les ménages qui dépasseront de 150 % le plafond de ressource pour entrer dans le logement social (au lieu de 200 % auparavant) seront obligés de déménager dans les dix-huit mois (au lieu de trois ans auparavant).

Cette mesure va certainement fragiliser la situation des ménages aux revenus moyens ne pouvant, dans les villes aux marchés tendus, se loger ailleurs. En même temps, elle remet en cause le principe fondateur du logement social à la française : un parc généraliste pouvant accueillir les 60 % des ménages qui s’intègrent dans ses plafonds de ressources.

Critères de mixité sociale ambigus

Dans le même esprit, la possibilité offerte par le texte, soucieux de « développer l’attractivité des quartiers défavorisés », de permettre aux bailleurs sociaux « de réorganiser les loyers en fonction de critères de mixité sociale » est particulièrement dangereuse. D’une part, ces critères de mixité sociale sont ambigus (à quel niveau géographique calculer la mixité sociale, en fonction de quelles catégories de population), d’autre part l’attractivité des quartiers ne se mesure pas tant en fonction de la qualité des habitants, qu’aussi de la présence d’emplois ou d’équipements. Au nom d’une mixité sociale hypothétique va s’installer une gestion du logement social très inégale d’un territoire à l’autre.

Si les ménages à revenus moyens sont chassés de leurs logements, on peut se demander comment se feront les attributions de logements sociaux ainsi libérés. En réalité, le gouvernement, très soucieux de ne pas renforcer la présence des populations pauvres dans les territoires où il est supposé y avoir « trop de pauvres », a réussi à produire dans ce texte plus de complexité qu’il n’en existe déjà.

D’une part, les attributions de logements sociaux seront gérées par les intercommunalités conformément aux réformes récentes de l’organisation administrative de la France.

D’autre part, un quart des attributions réalisées en dehors des quartiers politiques de la ville seront réservées aux demandeurs des logements les plus pauvres, à ceux qui répondent de problèmes familiaux, ainsi qu’aux ménages prioritaires relevant de la loi DALO [la loi du 5 mars 2007 a institué un droit au logement opposable (DALO)]. Or, si la gestion des attributions échappe au pouvoir municipal et est confiée à l’intercommunalité, comme cela semble être le projet, on peut s’attendre à ce que le cumul des priorités de toutes sortes entraîne d’autant plus de sentiments d’injustices que le pouvoir d’attribution est éloigné des citoyens.

Plus de 30 % de logements sociaux aux Pays-Bas

Dans son texte de présentation, la loi se réclame d’un élan de réflexion issu des événements de novembre 2015. Cependant les objectifs de mixité sociale annoncés sont contradictoires avec les mesures proposées qui vont fragiliser les classes moyennes logées dans le parc social et rendre encore plus compliquées celles des plus modestes.

Le texte qui va être voté s’inspire plus vraisemblablement des orientations, émanant de la Commission de l’Union européenne, qui visent à transformer le logement social en un « résidu » destiné aux pauvres, les autres catégories étant vouées à devenir propriétaires et à réclamer moins d’Etat, fût-ce en zone tendue, au prix du renchérissement du coût des logements. Cet idéal de fluidification et de résidualisation du logement social, qui était d’ailleurs partagé par le gouvernement Fillon (loi dite « Molle » de 2009) va enfin être réalisé.

Il est inquiétant que dans le contexte actuel, la confusion idéologique ait raison d’un ciment de la société française : un parc de logement généraliste de 4 millions de logements, 11 millions de personnes soit plus de 18 % du parc, ce qui nous localise à mi-chemin entre un pays de propriétaires comme l’Espagne et les Pays-Bas où plus de 30 % sont des logements sociaux.

Certes on construit beaucoup plus en France de logements sociaux pour les couches moyennes que pour les revenus plus faibles et les situations vulnérables. Mais est-ce aux revenus moyens d’en payer les frais ? Est-ce aux ménages pauvres d’attendre plus longtemps pour accéder à des secteurs où il n’y a pas « trop » de ménages pauvres ? N’est-ce pas à l’Etat de mieux organiser la construction ?

S’il avait été vraiment inspiré par l’égalité et la citoyenneté, le texte que nous propose le gouvernement aurait proposé d’autres moyens d’action.

Yankel Fijalkow est l’auteur de Sociologie du logement (La Découverte, 2e édition, 2016, 10 euros).