Mardi 21 juin s’est tenue à Paris la première « Product Conference » qui a réuni 250 participants pour témoigner et débattre du rôle d’un métier émergent en France, celui de chef de produit numérique. Aux Etats-Unis où cette profession est déjà bien installée dans les entreprises, on parle plutôt de « Product Manager ». C’est aussi sous cette dénomination que circulent, sur LinkedIn ou sur le site de l’Association pour l’emploi des cadres (APEC), un certain nombre d’offres d’emploi proposées en France par Danone, Alstom, La Fourchette, Camaïeu, Voyage privé, etc.. Pré-requis indispensable pour les candidats : ne pas être allergique à l’anglais, car que ce soit dans les présentations orales comme écrites, pas une minute, pas une ligne ne se produit sans un anglicisme…

Axelle Lemaire, French Ministry of State for Digital Affairs, speaks about the French Tech Ticket during the French Touch Conference at the AXA Center in New York June 24, 2015. The French Tech Ticket is a program designed for non-French entrepreneurs from all over the world who want to set-up their startup in Paris. AFP PHOTO / TIMOTHY A. CLARY / AFP PHOTO / TIMOTHY A. CLARY | TIMOTHY A. CLARY / AFP

La conférence de Paris avait été précédée, dans le même but, par d’autres manifestations du même type en Europe : la conférence Mind the Product à Londres et le Product Management Festival à Zürich. La transformation des organisations avance par ricochet au sein des multinationales d’une capitale à l’autre, où le point de départ de la digitalisation des entreprises n’est pas le même, mais où la place du Product Manager, que l’on peut voir comme un nouveau métier, apparaît comme stratégique.

Un chef d’orchestre

Une quinzaine de speakers internationaux sont venus à Paris expliquer comment leurs entreprises, en mettant les produits digitaux au centre de leur stratégie et de leur organisation, ont connu de beaux succès. Parmi elles, quelques « licornes » déjà célèbres, comme Uber, Blablacar, puis VizEat, Xing - l’Allemand qui résiste à LinkekI, et Stupeflix - racheté par GoPro récemment.

Aux côtés de ces PME (ex-start-up) numériques, quelques entreprises plus traditionnelles (AXA, Voyages-SNCF…) ont aussi développé comment elles avaient changé la manière de faire du « produit numérique » avec la mise en place d’une nouvelle organisation et le recrutement de nouvelles compétences.

Concrètement, le chef de produit numérique (Product Manager) est responsable comme son nom l’indique d’un produit numérique (une appli, un site, un logiciel, etc.). Tel un chef d’orchestre, il est à l’intersection du business, de la technologie et de l’expérience utilisateur. Il guide la transformation digitale de l’entreprise en cassant les silos qui existent entre le marketing, la direction informatique et les métiers.

Pour un développement itératif

« Cela semble tenir du bon sens, reconnaît Hugo Geissmann, CEO de Thiga et co-organisateur de l’événement, mais dans les entreprises dites traditionnelles, cela n’est pas souvent le cas. Faire travailler en bonne intelligence collective tous ces départements n’est pas chose aisée. Elles souffrent de leur mode d’organisation à l’ancienne, avec d’un côté ceux qui pensent et de l’autre ceux qui exécutent. Certaines entreprises commencent à recruter des Product Manager et à raisonner de cette façon, mais globalement elles sont en retard par rapport aux entreprises américaines ».

Quelles sont les caractéristiques de ce nouveau métier? L’une des principales façons de travailler du chef de produit numérique est le développement itératif, c’est-à-dire une forme de développement où, pour répondre à une problématique, à un besoin client, on crée rapidement un prototype du produit numérique (une application mobile par exemple) pour le soumettre aux utilisateurs.

Leurs retours d’expérience permettent d’élaborer un prototype plus poussé, jusqu’à arriver à l’application finale. « Certains produits numériques ont encore tendance à se tourner trop tard vers leurs utilisateurs » constate Hugo Geissmann. Cette façon de faire implique un rapport au temps différent de celui du chef de projet traditionnel.

« Contrairement à un projet qui a un début et une fin, un produit numérique ne s’arrête jamais. Il se situe dans un processus d’amélioration permanente » estime Hugo Geissmann.

Des méthodes inspirées des GAFA

Ces méthodes de travail sont directement inspirées des géants du web, les fameux GAFA (pour Google, Apple, Facebook, Amazon), puis sont progressivement adoptées par les entreprises françaises.

AXA est par exemple venue présenter la méthode design print ou « comment innover en cinq jours » qu’elle utilise depuis janvier 2016. « Dans un grand groupe, l’innovation, c’est souvent long et cher, reconnaît Benoît Cizeron, Innovation manager & responsable Accélérateur au sein d’AXA. C’est ce qui nous a amené à mettre en place une nouvelle équipe pour être en capacité d’innover le plus rapidement possible. Mon rôle est d’animer une équipe pluridisciplinaire et de faire travailler ensemble des métiers très différents (assureurs, expérience utilisateurs, ingénierie, technologie) » ajoute-t-il.

Pour Alexandre Pachulski, CPO (Chief Product Officer) de Talentsoft, spécialisée dans les logiciels RH (recrutement, formation, gestion des talents),« le fait que ce genre de manifestation s’organise en France est une bonne nouvelle ». Il estime que « c’est une façon de reconnaître ce nouveau métier et les changements qui s’opèrent en France. Derrière nos outils numériques qui aident les RH à opérer la transformation digitale de leur entreprise, nous avons la volonté de repenser les expériences candidat et collaborateur et le rapport au travail. Le produit s’efface devant les usages ».