Emmanuel Macron, à l’Elysée, le 24 juin. | ALAIN JOCARD / AFP

Emmanuel Macron, qui avait accordé un long entretien au Monde du 18 juin, avant le vote des Britanniques sur le maintien dans l’Union européenne, n’a pas tardé à se positionner après la victoire du non. Invité, samedi 25 juin, d’un débat organisé à Sciences Po Paris en compagnie de Daniel Cohn-Bendit et de Sylvie Goulard (députée européenne centriste), le ministre de l’économie a profité de cette tribune pour exposer sa vision du « projet européen ». Et, de nouveau, pour marquer sa différence et poser les jalons de son propre projet tout en maintenant l’ambiguïté sur ses intentions.

« Je suis responsable d’un mouvement politique né le 6 avril qui a mis l’Europe au cœur de ses valeurs fondatrices », a rappelé le fondateur d’En marche !, qui estime que « les partis existants s’épuisent à bâtir des compromis sur les sujets européens ». Regrettant « une décennie perdue depuis le non français et néerlandais de 2005 » au projet de Constitution européenne, il souhaite que s’engage « un vrai débat politique pour préparer un projet de refondation ». « On a trahi le projet initial, il faut maintenant reconstruire un projet démocratique et transparent », plaide-t-il.

« On ne fera plus avancer l’Europe à l’abri des peuples ou à l’insu des peuples », clame M. Macron, qui se défie pour autant des propositions plus ou moins réductrices visant à négocier un nouveau traité ou à demander l’organisation d’un référendum. « Négocier immédiatement un nouveau traité, ce n’est pas réaliste, balaie-t-il, et je ne suis pas favorable à l’option du référendum. Les référendums, lorsqu’ils sont organisés dans le fracas, ne répondent jamais à la question posée. »

« Conventions démocratiques »

Persuadé qu’il n’est plus possible de continuer comme avant – diagnostic au demeurant largement partagé sur tout le spectre de l’échiquier politique –, il se dit, quant à lui, favorable à la tenue de « conventions démocratiques ». « Je plaide pour l’organisation d’une convention démocratique dans les vingt-sept pays membres, a expliqué M. Macron, afin de faire naître un projet qui se construise avec l’opinion. Une fois que le projet est prêt, oui, pourquoi pas le soumettre à l’onction populaire ? » Une proposition qui a le don d’irriter la plupart des responsables socialistes, encore traumatisés par le référendum de 2005. « Il ne s’agit pas de consulter pour consulter. Ce sont des mots », a vivement réagi, lundi, le ministre des finances, Michel Sapin.

Le ministre de l’économie estime en outre que les élections générales qui doivent avoir lieu en France, en Allemagne et en Italie, principalement, entre le printemps 2017 et le printemps 2018 constituent une chance pour porter ce projet européen dans le débat politique. Un débat dans lequel il entend bien être présent, comme il l’a rappelé lundi dans un entretien accordé à La Voix du Nord du 27 juin : « Je souhaite que ce projet progressiste porte son offre en 2017. Nous nous inscrivons volontairement dans ce calendrier de manière positive et pas personnelle », assure-t-il, laissant la porte ouverte à toutes les interprétations.

M. Macron, à rebours de l’image qui lui est accolée, tient un discours paradoxal. D’une part, il fustige les dérives ultralibérales de l’Europe et les renoncements des Etats membres, dont la France, à y mettre un frein. La liberté sans règles, menant à l’impuissance, a été selon lui un des principaux ressorts du « Brexit » : « Les Anglais ont voté contre une Europe ultralibérale qu’ils avaient largement promue et qu’on n’avait peut-être pas suffisamment combattue », considère-t-il. D’autre part, il appelle à un sursaut de « souveraineté » européenne : « L’Europe est obsédée par ses différences internes et ne sait plus pourquoi elle s’est constituée comme un ensemble commun. Le pire échec, c’est la crise des migrants, fustige-t-il. On ne pense plus l’Europe comme une puissance, on a perdu les termes de la souveraineté. »

« Un mauvais choix collectif »

Sur le plan économique et budgétaire, M. Macron se montre très critique vis-à-vis de la politique budgétaire mise en œuvre à la faveur du pacte de stabilité, « un mauvais choix collectif ». Il constate ainsi que l’Europe est sortie « plus lentement » que les autres régions du monde de la crise de 2008. « Avec une croissance faible et un endettement massif, faire de la consolidation budgétaire et une politique de compétitivité était un mauvais mix qui a conduit à faire s’effondrer la demande intérieure de l’Europe », regrette l’ancien secrétaire général adjoint de l’Elysée, où il était chargé des questions économiques.

Faut-il, dès lors, renégocier le pacte de stabilité ? « La France n’est pas la mieux placée pour rouvrir ce débat, note M. Macron. L’initiative ne peut pas être française, elle ne peut venir que de l’Allemagne ou de la Commission européenne, mais il faut trouver un mix intelligent. Il faut une vraie politique de relance européenne car les relances nationales sont condamnées à échouer. Garder de la convergence budgétaire, oui, mais avec une additionnalité des investissements et des marges d’ajustement. » Sinon, met-il en garde, « on est en train de construire une génération d’eurosceptiques ».

Touche par touche, il façonne ainsi ce qui s’apparente de plus en plus à une offre alternative dont il entend démontrer, comme il s’est plu à le faire ce samedi en compagnie de M. Cohn-Bendit et de Mme Goulard, qu’elle peut rassembler des forces venues d’horizons différents.