C’est une petite pièce cachée, sombre et insoupçonnable, qui abrite un trésor inattendu. Au milieu des anciens jouets en bois et des premiers modèles en plastique sommaire du Musée Lego de Billund, la ville du Danemark où est né le n° 1 mondial du jouet, deux portes coulissantes s’ouvrent sur une salle dédiée à la gamme Lego Star Wars. Mardi 28 juin, la sortie du jeu vidéo Lego Star Wars : le réveil de la Force sur la plupart des consoles du marché viendra prolonger un partenariat déjà vieux de dix-huit ans, et devenu si central que la firme danoise fondée en 1932 lui a même fait une place dans son histoire.

W.A. / Le Monde

« Lego Star Wars est une marque à part entière, avec ses propres jeux vidéo, ses propres encyclopédies. Elle progresse, même quand la saga n’a pas d’actualité, et Disney compte sur nous pour recruter de jeunes fans », explique Stéphane Knapp, directeur marketing de Lego France. Chaque année depuis 1999, les sets de Lego Star Wars figurent dans les cinq meilleures ventes de la marque, et progressent de manière continue. Portée par la sortie en fin d’année du film Le Réveil de la Force, 2015 a été la meilleure année de la gamme en France. En tout, elle représente environ 20 % du chiffre d’affaires de Lego. Et selon la chaîne de magasins spécialisés La Grande Récré, sur 300 jouets Star Wars référencés, la cinquantaine de sets Lego représentent les trois quarts des ventes.

Dans le Musée Lego à Billund, où chacune des dix meilleures ventes a droit de trôner un an durant, le Faucon Millenium se prélasse, tranquille, à la seconde place, malgré ses années d’ancienneté. « Batman et Superman sont une mode éphémère. Même La Reine des neiges commence à s’essouffler. Mais Star Wars, lui, monte, et n’a aucun concurrent à sa taille », estime Franck Mathais, directeur du département consommation de la chaîne spécialisée La Grande Récré.

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Un partenariat salvateur

Pour Lego, Star Wars est le symbole d’un grand virage stratégique. Après avoir déposé le révolutionnaire brevet sur les briques intercompatibles en 1958 (tombé, depuis, dans le domaine public), et après avoir lancé les petites figurines jaunes emblématiques en 1978, concurrencés dès les années 1980 par l’américain Tyco, le fabriquant danois a lancé en 1989 sa gamme Pirates, aux grimaces révolutionnaires pour l’époque : les progrès des machines de moulage lui permettent désormais de fabriquer des personnages aux visages distincts les uns des autres. Lego s’engouffre dans la brèche pour signer avec de prestigieux détenteurs de droits sur des films, des dessins animés, ou des séries.

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Lorsqu’en 1998, le groupe, alors dirigé par Kjeld Kirk Kristiansen, signe avec LucasFilm, c’est la première fois que le constructeur danois acquiert les droits pour un univers fictionnel déjà établi. George Lucas, lui, a quasi inventé le merchandising. Entre les géants du jouet et du divertissement, l’alliance porte très vite ses fruits, comme le déclare le créateur de La Guerre des étoiles en 2000, peu après la sortie de l’épisode I, La Menace fantôme.

« En deux ans, depuis le commencement de notre relation avec Lego, plus de 25 millions de sets Lego Star Wars ont été vendus dans le monde. J’ai le sentiment qu’il y a un mariage parfait entre les deux. »

Pour la marque danoise, qui traverse une grave crise financière au milieu des années 2000, Star Wars représente à la fois l’un des nouveaux fondamentaux de l’entreprise et le modèle de son redressement. « Star Wars a permis à Lego de rebondir à un moment où ils avaient du mal à définir leur stratégie ; c’est devenu un modèle pour eux, qu’ils ont reproduit avec de nombreuses licences », observe Franck Mathais.

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Loin du fabricant de jouets à construire louant la créativité et l’imagination des enfants, après LucasFilm, la société signe au début des années 2000 avec Warner Bros puis Sony, pour donner naissance aux petites figurines Harry Potter et Spider-Man. Les années suivantes, Indiana Jones, Pirates des Caraïbes, DC Comics, La Reine des neiges ou encore Les Simpsons viendront progressivement se joindre au riche catalogue d’univers de briques désormais sous franchise.

Une explosion du budget

L’évolution est frappante dans les chiffres. En 2005, le groupe familial consacre 256 millions de couronnes danoises (34,4 millions d’euros) aux royalties dues à ses ayants droit. Dix ans plus tard, leur budget a été décuplé, à 2,523 milliards en 2015 (339,2 millions d’euros). En 2005, sort le premier Lego Star Wars en jeu vidéo. Il s’écoule à 3 millions d’exemplaires et entre dans le top 10 des meilleures ventes aux Etats-Unis, l’un des principaux succès du groupe sur cette année de reprise.

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L’explosion du budget partenariat coïncide avec son impressionnant redressement : 7 milliards de couronnes danoises de chiffre d’affaires en 2005 (0,95 milliard d’euros), 35,8 milliards aujourd’hui (4,8 milliards d’euros), une croissance à deux chiffres, et des comptes dans le vert depuis dix ans. Quant aux jeux vidéo Lego sous licence, ils ont dépassé les 160 millions de ventes cumulées depuis 2005.

En 2016, le géant danois est désormais un boulimique de franchises déjà établies, capable de réunir les figurines des rivaux Marvel et DC Comics sur une même double page de catalogue, ou de lancer dans un même jeu vidéo Batman, les Simpsons, Gandalf du Seigneur des anneaux, Sammy de Scooby-Doo, les raptors de Jurassic World ou encore le héros de Dr Who, dans Lego Dimensions, cadavre exquis de partenariats et d’univers de la pop culture.

« Les univers sous licence représentent chaque année 20 % à 30 % de notre chiffre d’affaires. Mais nous avons également développé nos propres univers, comme Ninjago, qui marche extrêmement bien », resitue Stéphane Knapp, directeur marketing de Lego France.

Une association parfaite

Pourquoi une telle réussite ? Chaque association entre la franchise et les célèbres briques semble donner lieu à une fascinante alchimie, observe Franck Mathais, de La Grande Récré.

« C’est lié à l’univers riche de Star Wars, avec beaucoup de vaisseaux, de forteresses… Cela correspond parfaitement au créneau de Lego, qui reconstitue avant tout des scènes. L’association est parfaite. »

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Pour cela, les concepteurs de figurines et de navires spatiaux jonglent entre deux cahiers des charges, celui très contraignant de LucasArts, mais aussi celui de Lego, qui utilise une palette limitée à une vingtaine de couleurs pour les personnages, avec des dimensions standardisées pour assurer l’intercompatibilité avec les autres produits de la firme.

« Ce sont les mêmes instructions que pour n’importe quel jouet Lego, souligne Jakob Liesenfield, responsable du design chez Lego. Bien sûr, si on construit un vaisseau, il doit ressembler à celui du film, mais on est libre d’y ajouter des éléments en plus si on sait qu’ils seront plus amusants pour l’enfant. » Mais les concepteurs savent aussi leur rendre hommage. Sorti en octobre 2007, le Faucon Millenium est à l’époque le plus grand modèle Lego de l’histoire, avec 5 195 pièces.

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Pour Le Réveil de la Force, les designers danois ont rendu visite à LucasFilm dès 2014, un an et demi avant la sortie du film, afin de consulter les premières informations confidentielles et échanger avec l’équipe de production. Afin de définir les mimiques de chaque figurine, les concepteurs du bureau d’études à Billund ont eu besoin d’accéder non seulement aux dessins préparatoires et aux photos de chaque personnage, mais également à leur rôle dans l’histoire.

« LucasArts gardait ces informations de manière très précieuse. C’est pourquoi lorsque nous avons présenté la figurine Lego de Kylo Ren [le méchant], nous l’avons toujours présentée avec un masque, pour ne pas trahir son secret, explique Jakob Liesenfield. Mais nous n’avions pas besoin de tout savoir à 100 %. » Certaines figurines ne voient d’ailleurs jamais le jour.

« Il y a une centaine de personnages dans un film Star Wars, dont l’importance peut varier selon les versions du scénario. Il y a par exemple un alien dont nous avons conçu la version Lego, mais qui n’a pas été commercialisé. Ce sont des discussions avec LucasFilm. Mais nous avons aussi fait une figurine de Max Rebo, l’espèce d’éléphant bleu qui apparaît dans “Le Retour du Jedi”, alors qu’il n’a aucune importance scénaristique, mais juste parce qu’il est mignon, pour les fans. »

Max Rebo, le musicien de la cour de Jabba le Hutt dans « Le Retour du Jedi », « légoïsé » en 2013. | Lego