• Grégory Porter

Take Me to the Alley

Chanteuses et chanteurs continuent de tracter ce qui reste de « marché » du jazz. Par chance, le « jazz » ne se cantonne pas à son « marché ». Le « jazz de festival », oui, qui est tout un style et, souvent, tout un poème. Mais certainement pas les cent visages qui composent le kaléidoscope du jazz et des musiques improvisées. Sans rien céder sur ses anges tutélaires (Nat Cole, Marvin Gaye, Nina Simone), sans rien renier de ses succès très populaires (1960 What ?), Gregory Porter continue de tracer un curieux chemin personnel. Et de l’affirmer. Les chansons sont remarquablement écrites (In Fashion), le velouté ne lâche jamais le groove, l’entourage continue d’être fidèlement de premier ordre. Take Me to the Alley est bien dans la lignée de Be Good et Liquid Spirit. Il en approfondit la volonté spirituelle et engagée, sans en faire parade. On mesurera sans doute ces aspects à leur juste dimension, plus tard, bien plus tard. On a pu douter d’un chanteur si rapidement populaire et porté par une telle lame de fond. Avec Take Me to the Alley (qui permet au passage d’entendre d’une autre oreille les deux précédents albums), on se rend. Francis Marmande

1 CD Blue Note/Universal Music.

  • case/lang/veirs

case/lang/veirs

Pochette de l’album « case/lang/veirs », de Neko Case, k.d. lang et Laura Veirs. | ANTI

Le concept de « supergroupe » n’offre en général aucune garantie quant à la qualité d’un album comptant sur une simple addition de grands noms. On se faisait pourtant peu de souci pour le premier essai du trio féminin formé par Neko Case, k.d. lang et Laura Veirs. Le potentiel commercial de cette collaboration comptait ici moins – aucune n’est une star « bankable » – que la proximité et la complémentarité de trois des plus belles sensibilités, voix et plumes de la chanson américaine. Lancé à l’initiative de la Canadienne k.d. lang (c’est à cette admiratrice du poète E. E. Cummings que l’on doit le graphisme en minuscule du nom du groupe sur la pochette), ce projet repose sur un amour commun des racines country (débarrassées des excès sirupeux). Il se distingue aussi par l’apport individuel de chaque participante – une narration plus folk pour Veirs, une énergie plus rock pour Case, un crooning plus romantique pour lang –, fusionnant pour une collection de ballades enchantées, et deux irrésistibles accélérations (Best Kept Secret, Georgia Stars). Stéphane Davet

1 CD Anti.

  • Allen Toussaint

American Tunes

Pochette de l’album « American Tunes », d’Allen Toussaint. | NONESUCH/WARNER MUSIC

Mort, à l’âge de 77 ans, le 9 novembre 2015, après une crise cardiaque au sortir d’un concert à Madrid, le pianiste Allen Toussaint avait finalisé ce qui, de fait, est son dernier album, American Tunes. Une publication posthume qui combine des enregistrements de 2013, avec Toussaint seul au piano et d’autres d’octobre 2015 où il est accompagné par divers musiciens, dont le guitariste Bill Frisell et le saxophoniste Charles Lloyd. Un album plutôt orienté jazz, que cela soit dans le choix du répertoire (des compositions de Fats Waller, Billy Strayhorn, Bill Evans, Earl Hines, Duke Ellington) et dans l’interprétation. Toussaint, véloce, est là dans l’héritage du piano des origines de sa ville, La Nouvelle-Orléans, et sa part de blues. En particulier en solo, et lorsque l’orchestre se tient en retrait, le jeu dansant d’Allen Toussaint, que relance en permanence une attaque rythmique pleine de swing, trouve là l’une de ses expressions les plus abouties. Sylvain Siclier

1 CD Nonesuch/Warner Music.

  • Emicida

About Kids, Hips, Nightmares and Homework

Le Brésil a son lot de rappeurs frondeurs, de poètes du chaos, de créateurs musicaux érudits qui savent faire swinguer les mots avec intelligence. A l’instar de Marcelo D2 à Rio, Zé Brown à Recife, Emicida donne à São Paulo (comme son compatriote Criolo, également enfant de cette mégalopole bouillonnante de croisements artistiques) une identité hip-hop d’une veine très inspirée. Il compose un rap funky, dansant et chaleureux, truffé de références (brésiliennes ou non), s’entoure d’invités qui retiennent avantageusement l’attention (Vanessa da Mata, Caetano Veloso), accélère ou ralentit la scansion, voire s’en écarte pour chanter une mélodie nonchalante. Engagé, politique, Emicida a enregistré son album au Cap-Vert et en Angola, invitant au passage un chœur d’enfants capverdiens et Kaku Alves, qui fut le guitariste de Cesaria Evora, et le percussionniste angolais João Morgado. « Il faut, dit-il, retrouver le fil de l’histoire noire au Brésil. » Patrick Labesse

1 CD Sterns-MDC/Harmonia Mundi.