Par Bernard Masingue (Entreprise & Personnel)

L’impossibilité d’apporter une réponse crédible et positive à la situation de l’emploi de notre jeunesse n’a jamais été aussi préoccupante. Sur 8,4 millions de moins de 25 ans, seuls 500 000 ont un emploi stabilisé qui correspond à leur niveau d’étude ; 1,5 million d’entre eux sont en situation précaire ou dégradée.

Comment ne pas se rendre compte que le risque le plus important est celui de ne rien faire ?
En France, ce ne sont pas les activités qui manquent mais les emplois. Les normes nouvelles de ce XXIe siècle ne font plus de l’entrepreneur qui réussit un employeur automatique…

Il existe pourtant un gisement substantiel d’activités en jachère et d’autres à inventer : des activités de productions nouvelles et d’appui à la production (trop négligées), de prestations nécessaires au vivre ensemble, de prestations de solidarité, de désirs de créations, d’innovations et d’anticipations… Notre jeunesse doit s’emparer et impulser ces activités négligées pour préparer son avenir et inventer la société de demain.

Sous condition

Dans l’économie européenne, ce serait se doter d’une compétitivité supérieure et d’un avantage concurrentiel.

Le problème : une bonne part de ces activités ne sont pas solvables aujourd’hui dans les règles actuelles de notre marché du travail.

La création du revenu individuel pour la jeunesse lui donnerait, collectivement, nationalement, le moyen de s’investir dans toutes ces activités sans attendre leur capacité à s’autofinancer par leurs seules recettes immédiates.

Il s’agirait du versement d’un revenu sous condition d’âge (18-25 ans ?), d’un montant significatif (entre 600 et 800 euros ?). Il ne serait pas universel car conditionné à deux impératifs :

1) Avoir un revenu global inférieur au niveau imposable.

2) En faire une demande renouvelée annuellement.

Malédiction biblique

Le temps est venu de savoir accepter pour une part de notre économie des rémunérations qui ne soient pas systématiquement associées à un travail identifié mais qui soient au service de projets, de construction de l’avenir (individuellement et collectivement).

Bien sûr, une telle innovation se heurte à des représentations qui viennent de la nuit des temps (dont la malédiction biblique « tu gagneras ton pain à la sueur de ton front »), et l’argument d’instituer ainsi une forme de « sponsoring de l’oisiveté » n’est pas sans fondement. Mais, même si 20 % des bénéficiaires s’inscrivent dans cette logique, elle permettra aux autres 80 % de passer du pessimisme à l’espoir, d’entreprendre, de prendre des risques, de s’inscrire mieux dans le « contrat social », de « dealer » avec des employeurs qui s’intéressent à eux, de se former dans des dispositifs réellement qualifiants.

Bref, les jeunes pourront construire leur avenir avec davantage de moyens et moins d’obstacles… Par ailleurs, des « pare-feu » peuvent être instaurés pour exclure ceux dont les comportements ne sont pas républicains, voire s’assurer d’un usage positif de cette rémunération.

Bien sûr, l’instauration d’un revenu individuel pour la jeunesse a un coût important, mais combien coûte la situation actuelle ? Il faut objecter que ces coûts doivent être pondérés par les économies sur les dépenses actuelles et par la suppression des coûts cachés dus aux conséquences des situations en cours.

Un risque

Cette innovation conviendrait aux employeurs qui pourraient bénéficier de ressources humaines au fait des réalités sociales et économiques de l’époque.

Oui, cette innovation majeure au plan social et économique porte un risque. Mais la situation actuelle ne fait-elle pas courir un risque supérieur avec ces désespoirs, ce sentiment de « no future », ces énergies gâchées, ces potentiels sous-utilisés, ces déconsidérations personnelles qui touchent toujours ceux qui constatent qu’ils sont « non-employables » ? Et cette montée –corollaire évident des points précédents – ne fait-elle pas monter le risque d’un populisme dangereux ?

En fait, l’enjeu pour le décideur politique aujourd’hui n’est plus d’éviter le risque mais de choisir celui dont il ne veut pas. Et prendre le risque du « revenu à la jeunesse » serait un formidable signal d’espoir et d’optimisme. Une marque de confiance et d’espérance. Un investissement pour l’avenir comme il existe un investissement de solidarité pour nos seniors.

Arrêtons de croire que la seule croissance saura régler notre impuissance chronique à offrir de l’activité à notre jeunesse.

Entreprise & Personnel est une association qui regroupe les directions RH des entreprises du CAC 40.