François Hollande et Manuel Valls reçoivent les chefs de parti, à l’Elysée, samedi 25 juin. | Jean-Claude Coutausse/French Politics pour Le Monde

« Valls ne te rend pas service, il est trop cassant, il divise la gauche ! », peste ce visiteur devant François Hollande. « Je sais, je le lui dis… », répond, comme fataliste, le président de la République. La scène se déroule il y a quelques semaines à l’Elysée et, à écouter plusieurs interlocuteurs socialistes, elle n’a rien d’inédit. Le premier ministre le sait : « Quand ça va moins bien, les traits de caractère sont davantage critiqués », confie-t-il en privé. Et, en ce moment, les critiques pleuvent contre Manuel Valls. Son intransigeance, depuis trois mois, dans le débat avec la CGT sur la loi travail lui valent d’être traité de « pyromane » par les syndicats opposés au texte, ou d’« irresponsable » par les frondeurs du PS qui n’en reviennent toujours pas qu’il ait voulu faire interdire la manifestation parisienne du 23 juin.

Pourtant, Manuel Valls, dont les sondages de popularité ne cessent de plonger, n’a pas l’intention de se remettre en question, encore moins de changer. Au contraire, le chef du gouvernement entend continuer à être lui-même, certain que c’est cette constance politique qui paiera à terme. « Ce qui est important, c’est le sillon qu’on trace. Je continue de penser que ce qui se passe aujourd’hui, que ce qui s’est passé au moment des attentats en janvier et novembre 2015, et notamment mon discours du 13 janvier devant l’Assemblée nationale, que ce que j’ai apporté à la gauche sur la sécurité et le dialogue social, est beaucoup plus important qu’une critique sur un moment », explique-t-il au Monde.

Le premier ministre est persuadé, en son for intérieur, qu’il correspond à l’époque. C’est en creux le message qu’il a tenté de faire passer, dimanche 26 juin, à l’occasion d’un déplacement en Seine-Maritime. Invité à un « banquet républicain » à Belleville-sur-Mer par la députée socialiste Marie Le Vern, Manuel Valls a détaillé, pendant une heure et devant quelque 200 militants socialistes, ce que signifie à ses yeux gouverner. Un discours de la méthode vallsienne par gros temps politique, idéalement servi par le calendrier actuel.

Discours de la méthode

D’un côté, le « Brexit » et « l’électrochoc » de la sortie future du Royaume-Uni de l’Union européenne (UE), de l’autre les tensions sociales autour de la loi travail. Autant de crises qui exigent, selon lui, de se mettre en mouvement, sous peine d’être emporté par les événements. « Nous vivons des moments intenses, difficiles pour la France et pour l’Europe. L’époque nous met à l’épreuve, l’histoire est en train de se faire sous nos yeux. Parce qu’il y a les doutes, la radicalité, ce risque imminent des populismes, nous devons affirmer notre manière de gouverner, nous devons affirmer la vision que nous avons de la politique », a expliqué à la tribune Manuel Valls.

Le premier ministre a appelé à « la refondation du projet européen ». Il s’exprimera, mardi 28 juin, lors d’un débat sans vote à l’Assemblée nationale sur la nouvelle donne au sein du Vieux Continent. S’il ne prononce pas le mot de « protectionnisme », il souhaite désormais ressusciter « l’identité européenne » face au danger que représente pour la France le discours anti-européen du Front national. « Oui, l’Europe a des frontières, des frontières extérieures qui ne sont pas que des postes de douane, mais aussi des limites symboliques, qui disent ce que nous sommes et ce que nous ne sommes pas », estime-t-il.

L’Europe de M. Valls est « une fédération d’Etats-nations souverains » qui veut tourner le dos à « cette Europe tatillonne et triste, trop souvent envahissante sur l’accessoire et désespérément absente sur l’essentiel », et qui refuse « le dumping social entre ses membres ». A ce titre, le premier ministre a clairement demandé la réécriture de la directive de l’UE sur les travailleurs détachés, comme il a exigé la réorientation des négociations autour du traité transatlantique de libre-échange avec les Etats-Unis. « A ce stade, il ne peut pas y avoir d’accord », a-t-il prévenu.

« Deux gauches irréconciliables »

En France, la méthode Valls ne varie pas : « Tenir, tenir le cap, ne pas dévier », répète-t-il. Pas question, une fois de plus, de revoir la loi travail. « Toute remise en cause de l’article 2 serait une erreur, et même une faute politique », expliquait-il au Monde il y a peu. Pour le premier ministre, qui a théorisé le face-à-face entre les « deux gauches irréconciliables », « gouverner, c’est nommer les choses » et c’est savoir aussi « assumer le tranchant de la décision ». Un credo qui peut être entendu comme un avertissement lancé à ceux qu’il nomme « les petits frondeurs » du PS, mais aussi à François Hollande et à sa gouvernance souvent taxée d’hésitante.

Dans son entourage, le débat existe sur la marche à suivre à dix mois de l’élection présidentielle. Pour certains de ses proches, le premier ministre doit davantage s’affirmer contre le chef de l’Etat, donné perdant en 2017 dans tous les cas de figure. « Valls doit prendre des risques et marquer de plus en plus une distance avec la ligne présidentielle. L’opinion le sanctionne en réalité de ne pas se décoller du président : qui ressemble trop à Hollande, coule avec Hollande », estime un élu. D’autres lui conseillent au contraire de soutenir le chef de l’Etat jusqu’au bout et de se positionner pour être l’homme fort de la recomposition à gauche qui suivra la présidentielle. « S’il part maintenant, tout va foutre le camp et ça, il se l’interdit », assure l’un de ses amis.

Manuel Valls a prévu de faire un nouveau discours politique, le 8 juillet à Carcassonne (Aude), quelques jours avant la traditionnelle intervention présidentielle du 14-Juillet. Dimanche, à Belleville-sur-Mer, il a défendu sa gauche « nouvelle, patriote, européenne et républicaine », ajoutant, au passage, que « rien n’est joué pour 2017 ». Une prédiction qui, au fil des prochains mois, ne manquera pas d’être lue de multiples façons.