En adaptant « L’Enlèvement au sérail », Wajdi Mouawad souhaite aborder avec « du recul » les rapports entre Orient et Occident. | JEAN-LOUIS FERNANDEZ

Le Libano-Québécois met en scène L’Enlèvement au sérail, de Mozart, actuellement programmé à l’Opéra de Lyon. Un monument lyrique dont le nouveau directeur du Théâtre national de la Colline, à Paris, a osé récrire les dialogues, en gommant les clichés sur le monde oriental.

Pourquoi avoir choisi « L’Enlèvement au sérail » pour votre première mise en scène d’un opéra classique ?

En premier lieu, en raison du thème orientaliste de l’opéra. C’est pour moi l’occasion de m’interroger sur les rapports entre l’Orient et l’Occident. Le Liban, d’où je viens, a été pendant cinq siècles sous domination ottomane. Je vis maintenant en France, je suis un enfant des deux cultures. En ce moment, le débat devient vite inflammable dès qu’on aborde ces questions… Se les poser à travers un opéra de Mozart permet de prendre du recul.

En quoi le livret original de Johann ­Gottlieb Stephanie vous dérange ?

Si je vous raconte cette histoire comme je le ferais à un ami, vous allez comprendre que dans le contexte d’aujourd’hui cette aventure est la porte ouverte aux jugements à l’emporte-pièce. Deux Européen­nes sont enlevées par de méchants Arabes. Konstanze et sa servante sont enfermées dans un sérail. Son petit ami vient les sauver, mais lui aussi se fait prendre. Les jeunes gens doivent leur délivrance à la mansuétude du pacha… mais parce que celui-ci a vécu en Europe et qu’il le fait au nom des valeurs occidentales des philosophes des Lumières.

D’où cette décision de récrire les récitatifs ?

Cette comédie lyrique multiplie les clichés sur le monde oriental, je ne voulais pas mettre en scène des dialogues que je n’aurais pas supporté d’entendre. J’ai posé comme première condition de récrire le livret. L’Enlèvement au sérail est un des rares opéras classiques où la parole dispose d’autant de place ; le rôle du pacha est même entièrement parlé. Sans inter­venir sur le rythme du séquençage entre les récitatifs et les parties chantées, je savais qu’il me serait possible de m’exprimer.

Dans cet opéra, Konstanze et Blonde sont enlevées par des pirates dans un Orient indéterminé. | BERTRAND STOFLETH

Quel changement de point de vue proposez-vous ?

L’Orient et l’Occident ont un même désir, aduler les femmes et les contrôler. Là où les deux cultures s’opposent, c’est dans la manière de faire. Ces femmes ont été prises en otage pendant deux années. Je me suis demandé comment leur retour s’était passé. A l’époque de Mozart, les femmes ont le choix entre le sérail et le corset. Ma première idée a été d’écrire un prologue pour raconter la fête donnée en l’honneur de leur libération. Konstanze est invitée à participer à un jeu consistant à taper avec un bâton sur une grosse tête de turc. Elle en est incapable et doit s’expliquer. Justifier son refus me permet d’inscrire l’ensemble de cette histoire dans un présent, les parties chantées de l’opéra deviennent des flash-back
rappelant sa mésaventure.

Comment travaillez-vous avec le chef d’orchestre ­Stefano Montanari ?

Il connaît sa partition sur le bout des doigts. Il m’aide beaucoup, notre entente est parfaite. Et je trouve enthousiasmant d’avoir pour autre collègue un jeune compositeur amoureux en la personne de Mozart. Il a 26 ans et donne à son héroïne le prénom de la femme qu’il rêve d’épouser. Sa joyeuse énergie nous porte tout du long sans préjuger de la manière dont Konstanze revendique son désir d’être une femme libre.

Qu’espérez-vous de cette actualisation ?

Aujourd’hui chacun se raccroche à sa propre identité en créant les conditions de son enfermement. Il faut abandonner l’idée que l’enfer, c’est forcément les autres. Je rêve
de contrarier cette tendance en montrant que Konstanze se construit à travers le surgissement d’une autre culture dans sa vie. Qu’une comédie légère y contribue est une raison de s’en réjouir.

L’Enlèvement au sérail, de Mozart. Direction musicale, Stefano Montanari, mise en scène et réécriture des dialogues, Wajdi Mouawad. Opéra de Lyon, place de la Comédie, Lyon. Tél. : 04-69-85-54-54. Jusqu’au 15 juillet. www.opera-lyon.com